Avril 2002
Education Chilienne et négation de l’Histoire
Mapuche.
Elsa Pépin
Chercheur en Sciences de l’Education
Présidente de l’association LA LICORNE EL UNICORNIO et de l’Association
Huilliwerken
Praticienne en Histoires de vie Collectives et individuelles.
Rencontres des jeunesses Mapuches d’Europe
Rouen France
Avril 2002
Avant toute chose je tiens à remercier Rafael
Railaf et Jeremia Levinao de m’avoir fait l’honneur de me proposer d’intervenir
devant vous aujourd’hui. Je tiens aussi à dire combien je suis
attachée au Chili et à tous les mapuches qui m’ont accompagnée
durant les dix ans de lutte que j’ai partagé avec eux, enfin à préciser
que si je me suis engagée à soutenir la lutte du peuple
Mapuche c’est parce qu’elle me parait aujourd’hui une des dernières
alternatives possibles pour que le Chili retrouve un jour, enfin sa liberté,
sa mémoire, sa créativité et son identité.
Le bref exposé qui va suivre a pour objectif principal de témoigner
d’une dizaine d’années passées aux cotés de Mapuches
des communautés des zones de Lautaro, du Bio Bio et d’Osorno.
Je suis arrivée au Chili en 1992, suite à un engagement
sur le très long terme aux cotés des chiliens exilés
réfugiés en France. Des Mapuches je ne savais pas grand
chose jusqu’en 1992, où des mouvements de soutien au peuple Mapuche
ont commencé à voir le jour en France. Au cours des dix
dernières années, j’ai partagé, pendant de longs
mois, le quotidien de familles Mapuches des zones de Temuco, Tiruà,
Osorno et j’ai aussi, par trois fois, séjourné dans l’Alto
Bio Bio, ce qui m’a permis de rencontrer les soeurs Quiltraman entre
autres, mais aussi de partager les luttes des Mapuches et d’en vivre
la répression féroce mise en place par le gouvernement
chilien. Grâce à des amis Mapuches j’ai partagé des
réalités quotidiennes, cela m’a permit de découvrir
la grande richesse de leur culture, d’apprendre l’humilité et
une relation à la terre et à la nature qui a profondément
changé ma vie. Mon point de vue n’a jamais été celui
d’une anthropologue ou d’une ethnologue mais celui d’une militante engagée
dans des luttes qui me paraissaient dignes et justes. Du Chili je connais
aussi la réalité des bidonvilles du nord, des prisonniers
politiques, de la misère et d’une répression constante,
oppressante et insidieuse. C’est de ce vécu que je témoigne.
Enfin, si je me suis intéressée aux problèmes d’éducation
c’est parce que je suis chercheur en Sciences de l’éducation et
que ma spécialisation professionnelle m’a donnée l’opportunité de
comparer et d’analyser cette problématique d’une manière
plus scientifique et plus professionnelle.
L’étude que j’ai réalisé sur l’éducation
au Chili remonte à 1998 et a été réalisée
dans la région d’Osorno où résident des Mapuches
Huilliches. Depuis 1998, les chiffres n’ont guère changé et
si il y a eu quelques modifications elles iraient plutôt vers un
renforcement des statistiques de pauvreté plutôt que vers
une amélioration.
I Contexte de l’étude et quelques chiffres officiels :
Dans la zone d’Osorno selon les chiffres officiels du gouvernement Chilien,
plus de 80% de la population rurale est Mapuche huilliche ou d’origine
Mapuche, les vingt pour cent restant sont des descendants d’Allemands
et ils gèrent d’énormes domaines agricoles qui sont spécialisés
dans les productions laitières.
En allant d’Osorno vers la côte et sur une bande d’une cinquantaine
de kilomètres de large, qui s’étend de Valdivia jusqu’à Puerto
Montt, les terres sont encore couvertes d’une foret primaire intacte
composée d’arbres remarquables et sacrés pour les mapuches
comme les Alerces, le Canelo, le Laurel et de nombreuses plantes médicinales.
Cette bande côtière jusqu’alors en partie préservée
est gravement menacée par l’arrivée de la route à grande
circulation qui doit relier Concepcion à Puerto Montt.
La zone rurale d’Osorno et la région des lacs sont encore peuplées
de nombreuses communautés Mapuches Huilliches, leurs principales
activités sont l’exploitation raisonnée de la forêt,
l’agriculture et un peu de pêche. Du fait des nombreuses expropriations
réalisées avant et pendant la dictature beaucoup de familles
Mapuches se sont exilées vers Osorno et habitent les zones périphériques
dans des bidonvilles autour d’Osorno, dans les quartiers de V Centenario,
Alday, Rahue Bajo et Rahue Alto.
Sur la commune d’Osorno la population totale est 127 679 personnes alors
que la population rurale s’élève à 114 230 personnes.
Au cours de notre travail, un premier élément statistique
nous a attiré l’attention en cela qu’il parle de lui même.
Nous avons comparé le nombre d’enfants scolarisés à l’école
primaire à celui des élèves qui ont poursuivi en
secondaire ainsi que ceux qui sont arrivés jusqu’à l’entrée à l’université.
Pour Osorno sur 63 863 scolarisés en primaire un peu plus de
la moitié continue en secondaire et seulement 9477 enfants passent à l’enseignement
supérieur, tandis que 5744 enfants sont répertoriés
sans éducation.
Sur trois grandes communes rurales à forte densité de
population Mapuche de la zone Osornine Puerto Octay, Purranque et Rio
Negro les chiffres sont les suivants :
Puerto Octay
Entrée en éducation primaire 1649
Entrée en secondaire 214
Taux de désertion de la scolarité : 1435 soit 14 % d’enfants
qui s’inscrivent en secondaire
Purranque
Entrées en éducation primaire : 3204
Entrées en secondaire : 899
Taux de désertion de la scolarité : 2505 soit 23 % d’enfants
qui s’inscrivent en secondaire
Rio Negro zone à forte population Mapuche
Entrées en éducation primaire : 3279
Entrées en secondaire : 643
Taux de désertion de la scolarité : 2636 soit 26 % d’enfants
qui s’inscrivent en secondaire
Ces trois chiffres, qui ne sont pas différents pour les autres
zones comme Pucatrihue ou San Juan de la Costa, font apparaîtrent
que 25 % au maximum des enfants Mapuches de zone rurale poursuivent leur
scolarité en fin d’école primaire.
Sur ces 25 % seulement 2 à 3% des enfants Mapuches accéderont à un
niveau d’études supérieures.
Les raisons de ces désertions massives de l’accès à l’éducation
ont des causes matérielles, économiques et culturelles.
II Causes matérielles et économiques :
Beaucoup de Mapuches vivent dans des zones rurales qui sont éloignées
des centres urbains. Ces zones souvent reliées par des pistes
en terre qui sont coupées du reste du monde pendant les mois d’hiver
en raison des inondations. Les services de transports en commun sont
relativement rares (une à deux fois par jour , voire moins) et
très chers pour des familles à revenus extrêmement
modestes.
Les bus n’accèdent pas aux communautés et par exemple à Maicolpue
il y a plus d’une demie heure de marche, en pleine montagne, et pour
aller de la communauté de Tril Tril au terminal de bus situé sur
le port il faut compter une heure, et de là une demie heure de
bus pour rejoindre l’école primaire la plus proche.
Aucune des municipalités concernées n’a mis en place un
système de ramassage scolaire en 4X4 qui permettrait aux enfants
d’accéder à des heures raisonnables aux centres scolaires.
La seule solution est donc soit des départs et retours de nuit
sur des chemins escarpés et dangereux, soit des mises en internat,
ou encore une fréquentation en pointillé de l’école,
les jours où il fait beau, par exemple.
Le système Chilien est un système ultra néo libéral
et les internats sont les plus souvent religieux et payants. Les écoles
d’état offrent aux enfants des conditions matérielles précaires
au niveau du confort de base, chauffage inexistant, douches aléatoires
etc…
L’accès à l’école c’est aussi la prise en charge
des frais de scolarité, achats de matériel scolaire, uniformes,
cartables, frais de bus, inscriptions…
Pour accéder à l’école primaire un enfant Mapuche
doit pouvoir payer environ 20 000 pesos en moyenne par trimestre alors
que le revenu de nombreuses familles rurales ne dépasse pas, le
plus souvent, 150 000 à 200 000 pesos trimestriels. Si l’on multiplie
ces frais fixes par trois ou quatre enfants en âge de scolarité il
devient évident que la scolarisation au Chili est réservée
aux riches.
Sur la zone d’Osorno on compte 407 habitants scolarisables pour une école
mais la majorité des écoles publiques sont concentrées
dans les agglomérations, d’où une école pour 500 à 600
enfants.
Selon le très officiel rapport de la Comision de superacion de
la pobreza réalisé par le gouvernement Chilien, 1,1% des
enfants de familles où les parents n’ont pas été scolarisés
plus d’un an arrivent à avoir une éducation scolaire de
plus de 15 ans, et au niveau national 2,2 % des jeunes des familles les
plus pauvres du Chili terminent leur scolarité au niveau de l’école
primaire.
Pour terminer avec ces quelques chiffres nous signalerons, toujours
selon le rapport de la comision de superacion de la pobreza, que la 8ème
région compte 18,5% de sa population en dessous du seuil de pauvreté,
la neuvième région 6,7 % et la dixième 8,2% soit
un total de 33,4 % de personnes vivant à la limite de l’indigence
dans les trois régions à forte concentration de population
Mapuche. Ces chiffres ne prennent pas en compte les 20,9% de la population
chilienne classée comme indigente.
Dans la région de Lautaro, les communautés Mapuches vivent
aux flancs de la cordillère des Andes et doivent elles aussi effectuer
des voyages longs et coûteux pour se scolariser. Le passage à l’enseignement
secondaire signifie pour le plus grand nombre un exil vers Temuco.
Vu la qualité médiocre de l’enseignement public au Chili,
professeurs sous payés, aucune formation de base à la
pédagogie, les seules écoles qui pourraient permettent
un accès à des études de bon niveau sont les institutions
religieuses, elles sont payantes et par définition ne prennent
pas en compte les spécificités de la culture Mapuche. Les
instituts privés, quant à eux, sont hors de prix et de
ce fait inaccessibles. Reste les lycées professionnels, eux aussi,
concentrés dans les villes, beaucoup d’enfants Mapuches sont dirigés
vers ces établissements qui préparent à des carrières
de mécanique ou d’agriculture.
Des bourses sont allouées aux élèves qui souhaitent
poursuivre leurs études vers des brevets de techniciens. Elles
sont dérisoires et couvrent rarement les frais engagés
et jamais l’absence d’un adolescent qui ne travaille pas au sein d’une
famille en situation économique très précaire.
Enfin ceux, qui à force de persévérance et de sacrifices
obtiennent des diplômes de bon niveau comme : agronomes, éleveurs,
spécialistes de production laitières, horticulteurs ou
technicien forestiers par exemple, ne sont qu’exceptionnellement engagés
au sein des organismes publics, moins encore au sein des multinationales
du sud du Chili.
III Causes culturelles :
L’éducation Chilienne ne prend et n’a jamais pris en compte les
spécificités culturelles des enfants Mapuches. Tout le
monde étant par définition chilien pour le gouvernement
chilien, il est dès lors sans intérêt de s’adapter à plus
de 10% de la population nationale, même si, dans le sud le pourcentage
des Mapuches avoisine parfois les 60% de la population en âge de
scolarité.
Les Mapuches rythment leur vie sur la relation avec la nature et perpétuent
des traditions communautaires ancestrales. Les rythmes scolaires Chiliens
calqués sur le modèle européen imposent aux enfants
Mapuches une rupture permanente avec la cosmovision et les traditions
ancestrales du peuple Mapuche.
Je ne citerai qu’un exemple qui illustre bien mon propos, en période
de récoltes beaucoup de communautés travaillent ensemble,
la place des enfants est donc auprès de celles-ci, pourtant aucune école
chilienne n’adapte ses programmes à cette réalité évidente.
Elle ne manque, par contre jamais, d’adapter les journées d’école
aux fêtes nationales patriotiques ou chrétiennes. Les enfants
mapuches sont ainsi libres de célébrer le Noël chrétien
ou la rédemption de Marie, le 11 septembre considéré jusqu’à 1998
comme jour national d’allégresse ou le 18 septembre jour de la
fête nationale chilienne qui célèbre pour les mapuches
le début du génocide de tout leur peuple par l’état
chilien .
Cet endoctrinement sournois va plus loin puisque dans les écoles
publiques des cours de catéchisme sont donnés. Les enfants
Mapuches sont contraints d’y participer et ce n’est que sur l’intervention
insistante des parents qu’ils peuvent en être dispensés.
Bien souvent, ce refus déclenche des interrogations de la part
des enseignants pour qui la religion Mapuche est complètement
ignorée ou fortement rejetée et une des conséquences
peut en être une mise à la marge des enfants mapuches pour
cette singularité entre guillemets.
Cette imprégnation des religions dominantes sur l’éducation
Chilienne va parfois extrêmement loin. Ainsi, dans la zone de Tiruà,
nous avons rencontré un couple de Mormons qui dirige une école
primaire publique en internat, où tous les enfants sont mapuches,
et soumet les enfants des communautés environnantes à un
endoctrinement douteux.
Les mormons comme chacun sait sont très présents au Chili
tout comme les évangélistes. Ce couple que nous avons interviewé nous
a ainsi expliqué sa conception de l’éducation des Mapuches,
mélange subtil de racisme primaire et de paternalisme. Il utilise
pour ses cours des ouvrages conçu aux états unis par les
Mormons et ne cache sa conception très particulière de
la vie quotidienne qu’il souhaite transmettre aux enfants qui sont sous
sa responsabilité afin “qu’ils retrouvent leur identité” (sic).
Le coup d’état a démontré les liens étroits
qui existent entre les services d’intelligence et ces sectes qui ont
pignon sur rue au Chili et l’on peut se demander l’objectif exact ce
type de pratiques éducatives dans des zones en lutte du territoire
Mapuche
De la même manière aucune place n’est faite dans les programmes éducatifs
chiliens aux particularités de la culture Mapuche, la cosmovision
qui est une des spécificités de la culture indienne est
totalement passée sous silence, et l’enseignement de l’histoire
présente aux enfants mapuches une image dégradante et raciste
de leur peuple.
IV Falsification de l’histoire
Les livres scolaires d’histoire au Chili brillent par deux spécificités,
le dénie et la falsification. De la même manière
que le coup d’état de 1973 est présenté, non pas
comme une boucherie fasciste et sanguinaire, mais comme une régularisation
nécessaire d’une situation chaotique, le génocide chilien
sur le peuple Mapuche est encore aujourd’hui présenté comme
la fameuse pacification de la Araucanie. Pacification réalisée
par de valeureux Chiliens civilisés contre une bande de sauvages
guerriers.
Ces mêmes sauvages guerriers sont pourtant encensés quand
l’histoire chilienne s’en refaire à la résistance aux espagnols
et quelques héros emblématiques sont soudain valorisés
comme Lautaro ou Caupolican.
Mais les quelques pages qui retracent l’histoire des Mapuches dans les
livres scolaires présentent des dessins de rucas, travaux des
champs et terminent parlant des Mapuches comme d’un peuple de paresseux,
voleurs et alcooliques, d’ailleurs aujourd’hui disparu dont il est possible
de retrouver les traces dans les musées nationaux de Santiago
ou Témuco.
Le sentiment nationaliste qui prime sur la culture Chilienne se retrouve
dans les chapitres consacrés aux répartition de terres.
La partition du Chili avec les frontières argentines n’est jamais
mise en exergue comme une fracture à l’intérieur du territoire
Mapuche mais comme une perte pour l’état chilien d’une partie
de ces terres. Le même phénomène est d’ailleurs aussi
valable pour ce qui concerne le territoire aymara du nord du Chili.
La CONADI et le gouvernement de Frei avaient fait de l’éducation
une priorité. Dans les faits cette priorité n’a jamais
pu être observée.
S’il est vrai que quelques expériences d’enseignement bi lingue
se sont développées dans le sud du Chili, trop souvent
les enseignants du mapudugun étaient chiliens et il manquait à ces
expériences la prise en compte de toute une culture.
Le mapudugun est une langue conceptuelle et ne peut donc être résumée à une
simple traduction littérale. Jamais le gouvernement n’a envisagé de
faire venir dans les écoles des Machis ou des Lonkos pour qu’ils
transmettent directement non seulement la langue mais aussi sa contextualisation.
Si l’enseignement du Mapudugun est redevenu d’actualité c’est
grâce aux communautés en lutte qui se sont données
les moyens de cette récupération de leur identité.
De la même manière l’histoire ne raconte pas aux enfants
les extraordinaires contes Mapuches ou les traditions millénaires
de médecine par les plantes, pas plus les bases qu’elle n’explique
les bases sociales du peuple Mapuche ou sa spiritualité, elle
n’intègre ainsi jamais à ses programmes une réelle
revalorisation de la culture Mapuche.
Cette ségrégation au quotidien, cette négation
de l’histoire et des richesses des peuples originaires du Chili sont
argumentées par un nationalisme chilien qui voudrait une nation
une et indivisible, conception toute théorique d’un nationalisme
chilien triomphant puisque dans le même temps elle brade aux multinationales
européennes et nord américaines tous les territoires et
richesses du Chili.
Dans le même temps le gouvernement chilien n’hésite pas
dans ses programmes d’histoire à s’étendre longuement sur
les influences européennes qui ont peuplées le Chili, sur
l’histoire des écrivains français, toutes choses qui, si
elles sont intéressantes ne font certes pas partie intégrante
de la société nation chilienne.
Le nationalisme pilier du régime chilien actuel
La négation de l’existence du peuple Mapuche qui s’exerce au
quotidien dès l’entrée en scolarité s’apparente à un
conditionnement qui n’est pas sans influence au sein même des communautés.
Les enfants se retrouvent pris entre une histoire officielle complètement
falsifiée et une histoire authentique transmise dans les communautés
par les anciens. Encore faut-il que les familles vivent un lien réel
avec les communautés pour que cette contre histoire puisse se
dire. Et pour les Mapuches urbains ce n’est pas évident, d’où des
risques importants d’acculturation.
Les familles Mapuches chassées de leurs terres se retrouvent dans
des bidonvilles où le taux de délinquance est élevé,
où la lutte pour le pain quotidien est une préoccupation
constante et où l’attirance d’une société entièrement
basée sur la consommation est omniprésente et produit des
inégalités sociales et des injustices permanentes.
Les adolescents mapuches urbains, comme tous les adolescents ont du mal à se
situer entre modernité et ce que la société et l’éducation
chilienne leur désignent comme obscurantisme, pratiques de sauvages
et société d’un autre monde.
Arrivés à l’adolescence beaucoup d’enfants mapuches refusent
de parler leur langue en public, ainsi de générations en
générations se perdent des millénaires de l’histoire
de tout un peuple.
Etre Mapuche ce n’est pas seulement avoir la peau plus foncée
ou vivre à la campagne, c’est un autre rapport au monde, et aux
autres. C’est considérer l’homme comme un des éléments
constituant l’univers et non pas comme son entité centrale,
c’est respecter la terre, c’est s’engager et se battre. Cette société Mapuche
qui place au plus haut rang des communautés et des divinités
des femmes, qui fonctionne sur une organisation sociale horizontale,
qui pense que hors système communautaire rien ne peut se faire,
dérange profondément l’état chilien.
Et si les mapuches dérangent l’état chilien ce n’est pas
seulement parce qu’ils luttent pour récupérer leurs terres,
mais parce que face à une société chilienne pauvre
qui refuse l’impunité et ne se contente pas d’un néo libéralisme
triomphant, une société meurtrie par 25 ans de dictature
et dix de démocrature qui se cherche et tente de relever la tête,
ils pourraient bien, ces mapuches, constituer une alternative qui bouleverseraient
tout le système chilien actuel.
Il importe https://www.mapuches.org/files/doc/donc aux gouvernements qui se succèdent depuis 1973
de tuer dans l’oeuf toute rencontre entre mapuches et non mapuches, d’enseigner
la peur de l’autre, de favoriser ce rejet “del indio.”
Et pour cela, il n’est meilleure stratégie que de commencer dans
l’enfance.
Prendre le risque d’expliquer ce qu’a été la constitution
de l’état chilien, dire le génocide et les exactions, dénoncer
les usurpations de terres, parler de la résistance Mapuche au
régime de Pinochet c’est risquer des solidarités que le
gouvernement ne souhaite pas.
Il est donc bien plus confortable de stigmatiser le peuple Mapuche comme
une ethnie de sauvages en voie de disparition, refusant le progrès
et cherchant à chasser hors du sud du Chili les pauvres chiliens
qui y vivent, ou encore de les traiter de dangereux terroristes renouant
ainsi, avec des arguments trop longtemps entendu au Chili depuis l’avènement
de la dictature.
Si l’histoire Chilienne enseignée dans les écoles était
authentique elle dirait que les terres du sud du Bio Bio jusqu’à Chiloé sont
des terres mapuches, et que ces territoires ont été reconnus
par les espagnols comme terres du peuple Mapuche et non pas comme les
terres du peuple Chilien. Qu’elles constituent entre 70 et 80% des richesses
du Chili et que les latifundistes, les colons puis les multinationales
se sont appropriés ces biens par la force et la contrainte.
Elle dirait aussi, que pendant la pacification de l’Araucanie des milliers
de mapuches ont été déplacées vers Santiago,
puis vers le nord pour faire tourner les industries et les mines dont
les revenus partaient pour l’Europe et les Etats Unis.
Que les femmes Mapuches ont été déplacées
pour servir de bonnes aux riches familles de la démocratie chilienne,
et qu’elles sont aujourd’hui, encore, surexploitées dans les quartiers
chics de Santiago ou de Viña del mar.
Que tous ces Mapuches ont été partie intégrante
de l’histoire du Chili, dans la constitution des premiers syndicats en
Amérique Latine, dans les révoltes de mineurs, par leur
participation à la réforme agraire d’Allende, qu’ils ont
participé à la construction de ce Chili moderne dont le
gouvernement est si fier.
Mais l’histoire officielle ne dit rien de tout ça et pour avoir
accès à ces informations il faut arriver à un niveau
d’études permettant de lire l’histoire du peuple Mapuche de Bengoa
ou aller traîner les musées régionaux en insistant
lourdement pour avoir accès aux archives concernant les Mapuches.
Quand j’ai tenté cette élémentaire recherche de
documentation je ne m’imaginais pas que ce serait aussi complexe. Il
faut donc, être éduqué, en avoir les moyens économiques,
comprendre les complexités institutionnelles, et dieu sait si
au Chili il y en a, avoir été formés pour pouvoir
accéder à ces temples du savoir qui ne sont accessibles
qu’à des élites triées sur le volet.
Et comme si cela n’était pas suffisant il faut aussi, monter pattes
blanches au niveau vestimentaire, présenter des références
universitaires, et disons le clairement pour nombre d’institutions au
Chili avoir le teint plutôt clair, si ce n’est pas indispensable, ça
aide beaucoup.
Une fois tous ces barrages franchis on vous remettra, peut être,
quelques documents sur les mapuches mais en vous regardant bizarrement
et en me manquant de vous faire remarquer “qu’il n’y a pas grand chose
sur les mapuches dans la zone d’Osorno (80% de l’actuelle population
de la zone), mais que par contre tout l’historique de la colonisation
allemande est à votre disposition”.
Et si vous avez encore la force de demander des renseignements supplémentaires
sur les Kunko qui peuplaient la zone de Maicolpue, vous vous heurterez à un
abîme de perplexité voir de ricanements.
Si l’histoire enseignée dans les écoles était authentique,
elle dirait enfin, qu’on ne bâti pas une nation et un état
sur le mensonge et une histoire falsifiée. Elle reconnaîtrait
que nombre de chiliens qui se revendiquent haut et fort “chiliens pur
sang” ont dans leurs veines du sang indien, et que ce métissage
n’a pas toujours été le résultat d’histoires d’amour
romantiques mais plutôt de viols et d’enlèvements.
Enfin bref, elle dirait la vérité, ce qui n’est pas une
denrée très répandue au Chili depuis le 11 septembre
1973.
En falsifiant l’histoire et en transformant le système éducatif
en système de conditionnement l’état chilien prend le risque
important de voir, un jour, la société chilienne se fractionner
en deux blocs. Il prend aussi et par conséquent le risque que
ses enfants lui demandent des comptes et que ces comptes ne leurs conviennent
pas. Il crée aussi par son dénie une société schizophrénique
qui oscille en permanence entre la reconnaissance des mapuches comme
de farouches guerriers et leur rejet en tant qu’indiens, en entretenant
la peur comme il le fait il transforme le Chili en un de ces nombreux
pays qui valorisent les comportements racistes qui font le lit du fascisme.
Je ne sais pas si les Mapuches sont des terroristes mais je sais que
le gouvernement chilien exerce au travers de l’éducation un terrorisme
d’état en niant son histoire, sa culture et ses origines, qu’il
conditionne ainsi l’ensemble du peuple Mapuche à la soumission
et à l’acceptation de son rejet en développant dans la
société chilienne des réactions profondément
racistes, qu’il remet en place pour les Mapuches des lois anti terroristes
issues d’une dictature fasciste et que face à ce terrorisme
là il n’y qu’une seule réponse c’est la mobilisation du
peuple Mapuche pour sa vie, le respect de sa culture et de ses traditions,
l’acceptation de sa différence et de ses droits. Et cette lutte
là se doit d’être gagnée parce qu’il en va de l’avenir
du Chili et à plus long terme de l’avenir d’une partie de la planète
.
Conclusion
J’espère que ce bref exposé vous aura permit de comprendre
l’importance de l’établissement d’un système scolaire alternatif
au chili, non seulement pour les mapuches, mais pour l’ensemble des enfants
des bidonvilles.
Un système scolaire qui ne soit plus aux mains des religieux de
tous poils, ou d’un état vendu aux multinationales et qui entretient
le racisme et la haine de l’autre.
Pour que les Mapuches puissent un jour reprendre en mains les rennes
de leurs vies et offrir au Chili un autre modèle que celui qui
est en place depuis la création de l’état chilien, il est
de première importance que tous aient accès à une
scolarité digne de ce nom, qu’ils puissent faire des études
de haut niveau, qu’ils puissent transmettre et enseigner à leurs
enfants une histoire dont ils ne peuvent être qu’orgueilleux. Il
importe https://www.mapuches.org/files/doc/que les mapuches se réapproprient un système éducatif
qui leur soit propre et qui prenne en compte leur histoire, leurs traditions,
leur culture, leur religion et leur identité spécifique.
Et peut être que cette affirmation de leur identité en tant
que peuple originaire du Chili pourrait avoir comme effet secondaire
de permettre au peuple chilien de s’en construire une qui soit authentique
et revendiquable.
Les communautés, les Machis, les Lonkos et les Werkens, la nature
et la terre, eux, se chargeront de toujours, rappeler aux Mapuches d’où ils
viennent et qui ils sont, afin qu’ils ne trahissent pas leurs origines.
Crest le 25 Mars 2002
Fuentes de documentacion :
La pobreza en Chile : un desafio de equidad y integration social
Consejp Nacional para la superacion de la pobreza Santiago de Chile
Agosto 1996
Historia del pueblo Mapuche Jose Bengoa Ediciones Sur 1987
Estadisticas de escolaridad gobernacion de Osorno y ministerio de la
educacion X Région de sur de Chile |