Mapuche-hommes de la terre
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Fidh Raport – Mapuche.
Table des matières
I. Introduction et présentation de la mission

I. Contexte

1 Données de base sur la population indigène au Chili

2 Le droit des peuples indigènes au Chili

III.Exploitation forestière : la destruction d’un peuple et de son environnement

1 Antécédents historiques et origine du conflit actuel

2 Répression du peuple Mapuche

3 Persécutions judiciaires contre des dirigeants et des membres de communautés Mapuches

4 Autres conséquences de l’exploitation forestière sur le peuple Mapuche

IV. Projet RALCO : résistance d’un peuple

1. Quelques antécédents sur la centrale hydroélectrique RALCO

a) Le grand projet hydraulique de l’entreprise ENDESA : éléments techniques et financiers

b) La centrale Pangue, la Fondation Pehuén et les rapports Dowing-Hair

2. Irrégularités de forme et de fond de l’acquisition de RALCO

a) Autorisation environnementale : l’accord entre ENDESA et la CONAMA

b) Les échanges de terres Pehuenches et l’Autorisation de la CONADI

c) Réseau électrique illégal pour le projet Ralco

3. Répercussions de la construction de Ralco sur les Pehuenches

a) Répression sur les communautés touchées

b) La résistance des Femmes pehuenches

V. Conclusions et recommandations
VI. Annexes
VII. Bibliographie

I . INTRODUCTION ET PRÉSENTATION DE LA MISSION

La Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), organisation non gouvernementale internationale recouvrant 115 organisations adhérentes dans 90 pays, a réalisé diverses missions d’observation relatives aux peuples indigènes, abordant le thème de tous les Droits Humains dans une optique intégrale et indivisible.

Au Chili, la FIDH avait déjà réalisé une mission d’observation en 1997 sur la construction de la centrale hydroélectrique Ralco et ses répercutions sur le peuple mapuche-pehuenche. En 2003, la préoccupation de la situation des droits humains des mapuches est toujours d’actualité, d’une part en raison des conséquences de l’exploitation forestière dans les régions VIII, IX et X du Chili, affectant la vie et la survie des peuples et communautés mapuches installés dans ces régions ; et d’autre part à cause de la progression de la construction de cette centrale hydroélectrique.

La FIDH a mené une mission d’enquête internationale au Chili du 21 avril au 1ermai 2002. L’objet en était l’analyse de la situation des Droits Humains dans les communautés mapuches, liée à l’exploitation forestière et au projet Ralco, activités importantes de l’économie nationale. Les droits humains ont été observés et analysés dans le rapport en fonction d’un critère de globalité, dans la mesure où il existe une relation directe entre les conditions requises pour le respect des droits économiques, sociaux et culturels1 ; des droits humains individuels2 et les processus d’organisation et/ou de mobilisation entrepris par des communautés du peuple mapuche.

La mission était constituée de Nicole Du Roy, journaliste française, et de Paulina Palacios, avocate équatorienne. Elles ont réalisé des entretiens et un travail de terrain, non seulement auprès des représentants de communautés mapuches en conflit mais aussi auprès des prisonniers mapuches et des autorités régionales et nationales dans les différentes sphères étatiques.

La mission a débuté à Temuco, dans la région IX, par des entretiens auprès de :

Ramiro Pizarro, Intendant Régional,
Chercheurs de l’Institut des Etudes Indigènes de l’Université de la Frontera,
Esmirna Vida, Procureur de la région IX,
Leonardo de la Prida, Procureur de Purén – région IX
José Quidel, de la Commission de travail mapuche autonome (COTAM),
Emilio Guerra, de la Corporation Chilienne du Bois (CORMA),
Sandra Jilmes Jelvesy Jaime López, Avocats commis d’office pour les mapuches.
Organisations et délégués Mapuches, dans le Centre LIWEN.

De plus, l’Institut des Etudes Indigènes de l’Université de la Frontera a organisé à Temuco le séminaire « Megaproyectos et Derechos Mapuche », intervenants : Rosamel Milláman, Pablo Marimám, José Aylwin, Rodrigo Lillo, Jaime Madariaga, Jenive Cavieres, Christián Opaso, María Angélica Relmuan et Alfredo Seguel.

Dans la ville de Valdivia, des entretiens ont été réalisés auprès de :

Augusto Naulpam, Juan Hueque, Francisco Huaichamán et Juan Caniulaf du Conseil des Longkos du Peuple Huilliche du Pikunwijimapu.

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1Le Chili a ratifié le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels le 10 mars 1972, promulgué le 28 avril 1989 par le Décret No. 326 ; mais il n’a toujours pas signé la Convention de l’Organisation des Etats d’Amérique OEA. NATALE, Katerina Marie, Los Tratados Internacionales y el Estado chileno, CODEPU, 1999.

2Le Chili a adopté la « Charte des Nations Unies », le 24 octobre 1945, par le décret No. 838 le 18 septembre 1945 ; la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme », le « Pacte International des Droits Civils et Politiques » par le décret No. 778 le 30 novembre 1976, la « Charte de l’Organisation des Etats d’Amérique » par le décret No. 314 le 5 juin 1953 ; la « Convention Inter-Américaine sur les Droits de l’Homme » par le décret No. 873 le 23 août 1990. Ibid.

Ana María Olivera, Werken des Communautés de Chiloé
Délégué de la communauté de Quellón
Anselmo Paillamanque et Paillamanque, Cacique et Werken des communautés d’Osorno.

A Santiago du Chili :

Jaime Andrade, Coordinateur National des Politiques Indigènes du Gouvernement du Chili et sous-secrétaire de MIDELPLAN.
Mauricio Salinas, Ministère Publique Chilien,
Patricio Aylwin, Président de la Commission gouvernementale Verité Historique et Nouveau traitement.

A Los Angeles :
Esteban Krause, gouverneur de la province du Bio Bio
Claudia Parada, chargée des affaires indigènes du Bio Bío
Gerardo Jires, Avocat du Ministère Public

Dans la prison de la Commune de Traiguén auprès des prisonniers suivants : Pascual Pichún, Longko de la communauté de Antonio Ñerripil, Alejandro Pichún, Rafael Pichún et Aniceto Norín.

Dans la communauté Antonio Ñerripil auprès de : Juan Pichún, Pedro Naquel Millán, Machi María Ancamilla N ahuapi; María Collonao et Flora Collonao.

A Lumaco, auprès de dirigeants de l’Association Ñancuchew : Remigio Chureo, Alfonso Reiman, Galvarino Reiman, et Dina del Carmen Cayuqueo.

A Tirúa : Abraham Santi Calbullanco et Adolfo Millabur, maire.

A Cañete : Luis Llanquileo, Emilio Ushalao, Juan Segundo, Juan Cárialo, le Délégué de la Communauté des Maitenes, la Déléguée de la communauté des Alamos, Eliana Cuces, Carmen Lautaro et Rodrigo Peñailillo, Gouverneur de la Province d’Arauco.

A Ralco : Hilda del Rosario Riquelme, Aurelia Mariuan Mora, Meulen Huencho et Juan Ricardo Gallina Rodríguez, hauchi de la communauté déplacée « Las Peñas »

Dans la communauté de Ralco Lepoy : Aurelia , Rosario, Chao Chao, Nicolasa, Berta, Mercedes Julia Huantiao.

Dans la communauté de Quepuca Ralco : membres et dirigeants de la communauté.

Dans la commune de Collipulli : Ariel Tori, Antonio Quideron et Victor Ancalaf.

La Coordination des Communautés Mapuches en Conflit de Tanguipulli : Jaime Alegría Lefian, Palmeria Catriman Huilliman, Domitila Catriman Huilliman et Ciro Alegría.

Membres de la Coordination Mapuche Arauco Malleco : José Llanquilef, Cecilia Salazar, Angélica Ñacupil et José Llanquileo.

Une réunion a été organisée avec un groupe d’environnementalistes : Carlos Ruiz, Jenive Cavieres, Juan Pablo Orrego, Elías Paillán, Malú Sierra, Leonel Lienlaf, Víctor Toledo, Roberto Col et Claudia Padilla, du Ministère de la Santé Publique.

Dans l’Université Arcis, des entretiens auprès de : Roberto Celedón, Sergio Fuenzalida et José María Bulnes, défenseurs des indigènes pehuenche de l’Alto Biobío.

Enfin, dans la ville de Valparaíso, siège du pouvoir législatif chilien, des entretiens auprès de : Enrique Zurita et Jaime Naranjo de la Commission des Droits de l’Homme du Sénat ; Alejandro Navarro, député.

La mission tient à remercier toutes les personnes pour les informations partagées avec les déléguées de la mission et remercie tout spécialement la Corporación de Promoción y Defensa de los Derechos del Pueblo (CODEPU) et l’Institut des Etudes Indigènes de l’Université de la Frontera, qui ont établit les contacts, le planning et l’accompagnement de la mission de la FIDH.

II. CONTEXTE

1. Données de base sur la population indigène au Chili.

Selon les données fournies par l’Enquête sur les Caractéristiques Socio-économiques Nationale (CASEN)3, au Chili, sur une population totale de 15 millions d’habitants, 666 319 se considèrent comme appartenant à l’une des ethnies ou peuples autochtones. Ce nombre représenterait 4,4% de la population chilienne totale. Il faut signaler que selon les données fournies par la même enquête en 1992, on recensait près d’un million d’indigènes4.

Population indigène par ethnie en 2000:

Peuples

Population

%

Aymará

60187

9,04

Rapa-nui

2671

0,40

Quechua

15210

2,28

Mapuche

570116

85,59

Atacameño

8171

1,23

Colla

5325

0,80

Kawaskar

3781

0,57

Yagán

667

0,10

Total des indigènes

666128

100

Sources: MIDEPLAN. Élaboré à partir des informations recueillies dans l’Enquête CASEN 2000.

Toutefois, les organisations indigènes chiliennes ont réalisé leurs propres estimations, et considèrent, sur la même époque, qu’il existe un total de 1,7 millions d’indigènes, soit 13,18% de la population5.


_____________________________________________________
3Enquête correspondant à l’année 2000. Cités dans Ruben Sanchez: Caractérisation Socioéconomique de la Population Indigène.

4Il faut souligner que dans la Loi indigène est réalisée une conceptualisation de qui est ou est considéré comme indigène, base pour réaliser la question, tant dans les recensements de 1992 que 2002, comme dans les Enquêtes CASEN 1996.

5Cité par Victor Toledo, Situation de Santé des Peuples Indigènes au Chili, Profil Epidémiologique. OPS et Gouvernement Chilien, 1997.

Population Indigène

GROUPE ETHNIQUE Population (estimation)

Aymara – 125 000
Atacameños – 15 000
Colla – 200
Rapa Nui – 20 000
Mapuche – 1 600 000
Kawasqar – 101
Yámana – 74
Total Estimé de la population indigène – 1 760 375
Total de la population du pays en 1992 13 348 401

% de population indigène 13.18%

Le peuple Mapuche représente donc la majorité ethnique au sein des peuples originaires du Chili. Actuellement, les Mapuches vivent dans le Sud du Chili, en aval du fleuve Biobio, au niveau des villes de Concepcion et Temuco. La moitié d’entre eux vit dans des établissements urbains, et un important groupe de Mapuches résident à la frontière Sud de leur territoire (île de Chiloé).

Population Indigène par Région

Régions

Population Indigène

%

I

58893

8,84

II

11768

1,77

III

1811

0,27

IV

5709

0,86

V

10094

1,51

VI

5111

0,77

VII

8823

1,32

VIII

58577

8,79

IX

217362

32,62

X

113380

17,02

XI

7402

1,11

XII

9337

1,40

RM.

158052

23,72

TOTAL

666319

100

Sources: MIDEPLAN. Élaboré a partir des informations recueillies dans l’Enquête CASEN 2000.

Au Chili, les peuples indigènes sont soumis à un niveau de pauvreté plus important que le reste de la population. La même enquête de CASEN révèle qu’il existe une différence de 12 points entre les niveaux de pauvreté indigène et non indigène. La population indigène serait donc doublement affectée par la pauvreté.

Importance de la pauvreté et de l’indigence selon la condition éthnique:

Categories

PI

%

PNI

%

Indigents

72647

10,95

776522

5,44

Pauvres non indigents

141211

21,29

2090672

14,65

Non pauvres

449391

67,76

11403110

79,91

Total

663249

100,00

14270304

100

Sources: MIDEPLAN. Élaboré à partir des informations recueillies dans l’Enquête CASEN 2000.

Ainsi, les conditions de vie rurales se sont détériorées de façon substantielle, et on peut observer que les économies agraires mapuches se maintiennent à un niveau de subsistance ou d’auto-subsistance, dans un contexte de conditions économiques générales qui privilégient l’efficacité et le marché6.

Selon Sanchez, près d’un tiers de la population indigène se trouve dans des conditions de pauvreté et d’indigence (32,2%). Toutefois, selon les renseignements fournis par l’enquête de CASEN en 1996 et 2000, durant ces quatre années, 2,6% de la population indigène aurait vaincu la pauvreté (les niveaux d’indigence sont semblables). Selon le Rapport sur le Développement Humain au Chili en 2002, réalisé par le Programme des Nations Unies pour le Développement:

« La pauvreté est une caractéristique commune aux communautés indigènes, qu ‘elles soient rurales ou urbaines. Toutes les statistiques sociales et sanitaires démontrent que dans les zones de forte concentration indigène, on observe des indices inférieurs à la moyenne du pays. La pauvreté est le résultat de nombreux facteurs: en premier lieu, selon certains, les communautés indigènes, et en particulier les Mapuches, ont été victimes d’un processus d’appropriation de leurs terres par l’Etat entre la fin du XIXè siècle et le début du XXè, ce qui les a transformé en une population potentiellement pauvre. En second lieu on aurait assisté à une perte des ressources, que l’on attribue autant à la perte des terres qu’à la dégradation des ressources naturelles. En troisième lieu, le phénomène de pauvreté rurale chez les indigènes serait à mettre en relation avec la crise de l’agriculture traditionnelle, imputable à la mondialisation et à l’ouverture des marchés. Les paysans producteurs, Mapuches et autres, ont vu tomber relativement les prix de tous les biens qu’ils produisaient traditionnellement, comme le blé, les pommes de terre, les légumes secs ou la viande. En quatrième lieu, les communautés Mapuches, se seraient principalement retrouvées encerclées par l’extension des forêts du sud du Chili, avec de graves conséquences au niveau environnemental dues à la disparition des sources d’eau, entraînant la sécheresse permanente des sols ainsi que des difficultés pour mener les activités agricoles.7 »

Le peuple Mapuche chilien comprend plusieurs identités territoriales (forme d’organisation politique et territoriale): les Picunche, mapuches du Nord (c’est à dire vivant dans la partie centrale du Chili) et assimilés, les Huenteche, ou « arribanos » (ceux qui vivent en haut) qui habitent la zone pré-cordillère dans la IXème région ainsi que dans tout le secteur du fleuve Cautin et Impérial, les Nagche, qui vivent dans les vallées centrales de la neuvième région, les Lafkenche, qui habitent la côte qui s’étend de la VIIIème à la Xème région, les Pehuenche, qui vivent dans la cordillère, et les Huilliche, qui habitent la dixième région, dans la province de Osorno et Chiloé. Les Pehuenches ont maintenu une forte identité frontalière ainsi qu’une forme de vie caractérisée par le semi-nomadisme et l’économie paysanne destinée à la consommation propre, basée sur un « mode de vie montagnard » (TOLEDO: 2002).

Actuellement, le territoire Pehenche se situe dans le haut Biobio, depuis Trapa Trapa jusqu’à la lagune de Icalma, comprenant la zone qui s’étend des vallées entourant les affluents du Biobio.

6Dans le cas touchant les Pehuenches-Mapuches dans le Haut Biobio, affectés par ENDESA, on peut observer plus tard dans ce même rapport que le cadre dans lequel ont eu lieu les estimations terriennes et la relocalisation sont à peine équivalentes à ?

7Développement Humain au Chili 2002. Programme des Nations Unies pour le Développement, 2002, cité par Sanchez, Ibid.

2. Le droit des peuples indigènes au Chili.

Le Chili a souscrit au Pacte International pour les Droits Civils et Politiques, au Pacte International des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, au Protocole Facultatif du Pacte International des Droits Civils et Politiques, à la Charte de l’OEA, à la Convention Américaine des Droits de l’Homme et de la Déclaration Américaine des Droits et Devoirs de l’Homme. Ce cadre protège donc pleinement les droits humains des Mapuches.

A l’avènement du régime de démocratie électorale, le gouvernement de Patricio Aylwin, démocrate chrétien (1990-1994), a relevé le défi de réaliser une proposition de Loi Indigène, à travers l’Accord de Nueva Imperial, ratifié à l’époque de sa candidature. Cet accord s’est traduit par la Loi 19.253 du 5 octobre 1993, qui, selon plusieurs études rejoignant l’avis de nombreux membres de la Commission Spéciale des Peuples Indigènes (CSPI) 8constitue une réduction de la première proposition soumise à l’approbation du législatif chilien. Toutefois, cette loi permet la reconnaissance des ethnies indigènes, de la protection étatique envers leurs cultures et leurs langues, du statut particulier dont bénéficient les terres indigènes, ainsi que la création du Fonds de Développement Indigène et du Fonds des Terres et des Eaux, et le renforcement des communautés indigènes9. Mais même si cette loi, qui procure aux membres et aux communautés indigènes des normes de protection et de défense, existe bien, en pratique on observe un bilan déficitaire dans les politiques publiques menées durant la période démocratique au Chili10.

La Loi 19.253 créé également la Corporation Nationale de Développement Indigène (CONADI), « service public, fonctionnellement décentralisé, doté d’une personnalité juridique et d’un patrimoine propre, soumis à la surveillance du Ministre de la Planification et de Coopération. Ce service public pourra utiliser le sigle CONADI. Il aura son propre domicile et siège principal dans la ville de Temuco 11». Cette institution comprend les représentants élus dans les communautés indigènes, représentant les diverses ethnies, ainsi que des représentants du pouvoir exécutif directement nommés par le Président de la République. Il faut signaler qu’actuellement, la CONADI, principale institution étatique pour les peuples indigènes, traverse une crise de représentation et une remise en question.

Durant la décennie qui a suivi la Déclaration de la Décennie des Peuples Indigènes de l’Organisation des Nations Unies, qui a commencé en 1992, plusieurs pays d’Amérique Latine ont inclus dans leur ordre juridique la reconnaissance de la multi-ethnicité ainsi que la garantie desdits droits collectifs des peuples indigènes. De plus, de nombreux pays Latino-Américains ont ratifié l’accord 169 de l’Organisation Internationale du Travail pour les Peuples Indigènes dans les Pays Indépendants12.

En même temps, comme moyen de reconnaissance et protection juridique, la CEPI a proposé que le Chili ratifie la Convention 169 de l’OIT et, que dans un même esprit, soit menée une réforme constitutionnelle qui laisse place à une reconnaissance explicite de la condition pluri-éthnique et pluriculturelle du Chili. Finalement, l’accord 169 n’a toujours pas été ratifié par le Chili, ce qui constitue une importante limitation dans le développement des peuples indigènes.

8Créée en 1990 par le gouvernement Aylwin, après la fin du régime militaire de Pinochet, la CSPI a élaboré un avant projet de réforme légale et constitutionnelle en la matière.

9En application de la Loi 19.253 des règlements ont été promulgués: le « Règlement régulant l’accréditation de qualité d’indigène pour la constitution de communautés indigènes et pour la protection du patrimoine historique des cultures indigènes », promulgué par le Décret Suprême n°392; le « Règlement sur l’organisation et le fonctionnement du Registre Public des Terres Indigènes » par le Décret Suprême n°150; le « Règlement sur le Fonds des Terres et des Eaux » par un décret n°395; et le « Règlement pour les opérations du Fonds de Développement Indigène » par le Décret n°396.

10Sur ce sujet de nombreuses autorités se sont manifestées, telles que l’intendant de la neuvième région, le gouverneur de Biobio et celui d’Arauco, M. Andrade au Mideplan, ainsi que les textes consultés comme le Rapport Final du Groupe de Travail pour les Peuples Indigènes.

11Article 38 de la Loi Indigène, Loi 19.253 promulguée le 5 octobre 1993, MIDEPLAN PIDI CONADI, octobre 2001, Temuco.

12L’Organisation Internationale du Travail a adopté le 26 juin 1957 à Genève un Accord International relatif aux peuples indigènes: la Convention 107 relative aux Populations Indigènes et Tribales. En 1989, en accord avec les nouvelles tendances au niveau international, les membres de l’OIT ont modifié et substitué ledit accord par la Convention 169 sur les Peuples Indigènes et Tribaux dans les Pays Indépendants. L’adoption de la Convention 169 est le fruit de ladite « émergence indigène » (BENGOA: 2001) ainsi que du développement théorique des droits de l’homme et de la conscience historique par rapport à la « conquista » et à l’euro centrisme.

De plus, pour la FIDH, la référence que représente la Convention 169 est très importante dans la mesure où des concepts comme ceux de peuples indigènes, droits culturels, et ensemble des droits collectifs13sont développés. Dans le cas du peuple Mapuche, l’histoire démontre l’importance, jusqu’à il y a peu de générations, du fait que la vie de ses communautés se développe sur l’intégralité du territoire. Dans la Loi 19.253 les terres indigènes sont protégées par un régime spécifique en ce qui concerne leur insertion dans le marché, les manières de les acquérir et leur qualité. De la même façon, la loi prévoit un cadre qui institue légalement les Aires de Développement Indigène (ADI). Cette législation accorde des normes à un régime dans lequel la terre est considérée comme un bien, et dans le cas des peuples indigènes la notion de protection est maintenue, puisqu ‘elle est propre à une perspective légale selon laquelle il faut maintenir l’intégrité de la terre comme propriété communautaire ou familiale. Toutefois, dans les normes internationales qui consignent les droits collectifs des peuples indigènes, la vision paysanne ou agraire est largement dépassée, et par là même, la position purement protectionniste des terres indigènes l’est également. Ces dernières permettent d’évaluer la perspective de la territorialité, comme base et fondement des cultures indigènes vivantes.

Il est important de rendre également compte du fait que les tendances internationales, dans les constitutions législatives, ont cherché à reconnaître une large étendue de droits pour les sujets de droits collectifs que sont les peuples indigènes. De cette manière, les différents textes constitutionnels incluent normalement:

1) La catégorie des peuples indigènes;14

2) Le droit à l’égalité des conditions par rapport aux autres acteurs sociaux de chaque Etat nation15;

3) La consultation des peuples indigènes quand l’Etat entreprend des actions, décisions ou normes qui les affectent directement ou indirectement16;

4) De façon explicite le thème du territoire est étudié17;

5) Les relocalisations ou déplacements des populations indigènes, en raison de la constance des exemples de l’histoire18;

III. EXPLOITATION FORESTIERE : DESTRUCTION D’UN PEUPLE ET DE SON ENVIRONNEMENT.

1. Antécédents historiques et origine du conflit actuel.

L’histoire reconnaît une longue trajectoire de résistance de la part des mapuches face aux colonisateurs espagnols, pour lesquels ils furent des “sauvages araucans” enracinés au Sud du grand fleuve Biobío. A la suite de cette résistance, la couronne espagnole se vit obligée de ratifier plusieurs accords, dans lesquels sont établis l’historique et le droit sur les vastes extensions territoriales revendiqués par les communautés mapuches. Parmi les études réalisées sur l´histoire mapuche un événement suscite un intérêt tout particulier. Il s’agit de la rébellion de 1598 durant laquelle les indigènes dévastèrent des villages de colons espagnols situés au Sud du fleuve Biobío. Les fameux “parlements de paix” se succédèrent en présence des autorités propres aux communautés mapuches. Les autorités coloniales y fixèrent les limites et les conditions de cohabitation. En 1641, l´accord de Quillín attribua définitivement aux Mapuches un territoire autonome qui s´étendait depuis Concepción jusqu´au Sud du Chili. La construction politico-administrative caractéristique comprenait des juridictions territoriales sous le pouvoir de Longkos ou de caciques. Si bien que les mapuches conservèrent leur souveraineté, leur indépendance territoriale et leur unité politico-administrative jusqu´à l’indépendance du Chili et sa constitution comme république indépendante. Il est important de considérer que pour le peuple mapuche, le maintien des limites établies durant le régime colonial d´un territoire mapuche incluant le territoire de La Araucanía, Las Pampas et Nor-Patagonia, est une clef des réclamations territoriales actuelles19.

13Articles 13 et 14 de la Convenion 169 de l’OIT (voir annexe 1 pour le contenu du dit article).

14Article 1 de la Convention 169 de l’OIT (voir annexe 1 pour le contenu du dit article).

15Article 2 et 3 de la Convention 169 de l’OIT (voir annexe 1 pour le contenu du dit article).

16Article 6 et 7 de la Convention 169 de l’OIT (voir annexe 1 pour le contenu du dit article).

17Article 13 de la Convention 169 de l’OIT (voir annexe 1 pour le contenu du dit article).

18Article 16 de la Convention 169 de l’OIT (voir annexe 1 pour le contenu du dit article).

*Localisation et répartition des communautés mapuches.

A partir de 1881, avec la colonisation du Sud connue comme la campagne de “Pacification” des araucans et correspondant à la défaite militaire mapuche face à l´armée chilienne, le dépouillement violent des terres Mapuche débute. L´enracinement des indigènes par la concession de titres de propriété commence en 1883, une fois que l´armée chilienne occupa militairement le territoire mapuche. A la suite de ce processus, les mapuches seront confinés dans près de 3000 réductions à caractère communal avec un total approximatif de 500 000 ha pour un territoire originel estimé à plus de 10 millions d’hectares. Finalement l´Etat chilien exila les mapuche dans des « réductions » et les expropria de 95% de leurs territoires20.

Les terres soustraites aux indigènes furent données à des colons européens ou vendues à bas prix à des chiliens non indigènes, qui les acquirent pour eux-mêmes et en firent dans certains cas de grandes propriétés. Une grande partie de ces terres furent usurpées par des propriétaires voisins, grâce à des délimitations de clôtures, des escroqueries et manipulations légales sur les anciens titres de propriété et contrats, qui amoindrirent le droit de propriété des mapuches sur ces terres. Ainsi se créèrent de grandes propriétés dans le sud du Chili.

Par ailleurs, le processus des réductions sédentarisa les Mapuches dans des terres réduites (6,18 ha par personne) en les forçant à transformer leur économie – passant de l´élevage à l´agriculture- et leur culture, à travers l´école et l´évangélisation. A partir de 1920, l´Etat favorisa la division des terres mapuches en propriétés rurales individuelles, ainsi que leur transfert à des non indigènes qui en tirèrent profit. Entre 1931 et 1971, 832 réductions ou communautés mapuches des presque 3000 existantes furent divisées, donnant jour au parcellement des terres mapuche en propriétés rurales individuelles. On estime à au moins 100 000 hectares (un cinquième du total) les terres mapuches données à des non indigènes durant cette période21.

Unité populaire et réforme agraire :

Dans le contexte des changements politiques et sociaux de la décennie des années soixante et début des années soixante-dix, un programme de réforme agraire22 fut développé sous les administrations de Eduardo Frei M. (1964-1970) et Salvador Allende (1970-1973). Bien qu’orientée vers le monde rural en général, la réforme eut des implications importantes pour les Mapuches dans le sud du pays. En effet, le projet de l´Unité Populaire tenta de restituer des terres aux indigènes par le biais d´un mécanisme d´expropriation, et de freiner le processus de division des terres mapuches. Afin de promouvoir le développement économique, social, culturel intégral des indigènes, il créa aussi l´Institut de Développement Indigène.

Grâce à cette mesure, les propriétés qui avaient été usurpées aux communautés mapuches et sur lesquelles celles-ci avaient des revendications historiques, furent expropriées et restituées aux Mapuches. Le processus eut lieu principalement dans les provinces de Cautín, Malleco et une partie de Valdivia, actuelles régions IX et X. De cette façon, sous la pression exercée par le mouvement indigène -ainsi que par des secteurs politiques qui les soutenaient-, le gouvernement Allende restitua par le biais de la réforme agraire près de 300 000 hectares aux communautés mapuches, répondant ainsi à leurs réclamations historiques.

A travers la Corporation de Réforme Agraire (CORA), l´Etat soutint également la technicisation et le développement productif des terres restituées aux mapuches, en favorisant des programmes de cultures traditionnelles, d´élevage et de lait, ainsi que des programmes de reforestation de pin, de terres érodées et d’aptitude forestière23.

19Selon des opinions recueillies pendant les entretiens avec des dirigeants mapuches, ainsi que dans des conférences du séminaire « Megaproyecto y Derechos indígenas », à la UFRO ; et dans le document de Victor Toledo : Pueblo Mapuche, Derechos y Territorio.

20José Aylwin O., Tierra y territorio mapuche : un análisis de desde una perspectiva históric-jurídica, Mayo 2000, Proyecto Mapu Territorialidad, Instituto de Estudios Indígenas, Universidad de la Frontera, Temuco, Chile.

21Ibid.

22La base légale se trouve dans la Loi N°16.640 de 1966. Cette loi rend possible l’expropriation de terres qui étaient mal exploitées, abandonnées ou qui auraient une superficie de plus de 80 has. Pour la première fois, cette réforme fait référence pendant le gouvernement d’Allende à l’ensemble des peuples indigènes du Chili.

Cependant une grande partie des terres expropriées par Allende ne furent pas titularisées aux noms des bénéficiaires de la réforme agraire. Les Mapuches qui travaillèrent la terre n´en furent pas bénéficiaires, et elle resta une propriété de la CORA24.

Pinochet et la contre réforme:

Après le coup d´Etat de 1973, la contre-réforme agraire commence par la régularisation des titres de propriété. Durant ce processus, beaucoup de terres expropriées et remises aux paysans et indigènes pendant le gouvernement de Allende furent rendues à leurs anciens grands propriétaires. Des 10 millions d´hectares expropriés pendant les gouvernements de Frei et Allende (3,5 millions. sous le gouvernement de Frei et 6,5 millions. sous celui d´Allende), 2 826 000 ha furent rendus à leurs propriétaires, 3 150 000 ha furent adjugés à la Corporation de Réforme Agraire (CORA), 622 000 cédés à d´autres institutions comme la Corporation Nationale Forestière (CONAF), et seulement 33%, soit 3 296 000 ha, furent attribués aux paysans25. Il convient de souligner qu´une partie importante des terres adjugées à la CORA ou cédées à la CNAF appartenaient aux Mapuches grâce aux programmes réalisés sous la Réforme Agraire du gouvernement d´Allende. Aussi, pour beaucoup, “les conflits actuels dont les partisans mapuches sont les acteurs surgissent-ils comme la conséquence de la contre réforme agraire que la dictature a mis en place … »26.

A cette époque, le Chili projette son développement vers l´extérieur : le modèle imposé par la dictature militaire privilégiait l´exportation. La modalité fut de centrer le dynamisme du développement économique chilien sur les marchés externes et sur les avantages comparés dans les secteurs de l´exploitation de ressources naturelles ou de matières premières27. La crise économique et la baisse des prix des produits agricoles, tout comme l´érosion des sols, provoquèrent un changement des activités agricoles vers les activités forestières. En appliquant un nouveau modèle économique basé sur l´exploitation forestière, Pinochet privatisa de nombreuses industries (Celulosa Arauco et Celulosa Constitución). En même temps, les plantations forestières comportaient des incitations considérables, comme le Décret Loi 701 de 1974 qui les exonéraient d´impôts fiscaux et territoriaux. De plus, par le Décret Loi 600 l’investissement international fut facilité. De cette façon les entreprises étrangères arrivèrent pour acheter une grande quantité de terres et profiter des énormes avantages concédés par le gouvernement Pinochet.

La majeure partie des entreprises forestières a acquis des terres au moyen d´enchères ou de reprises directes à des institutions grâce auxquelles la dictature liquida la réforme agraire. Sous prétexte qu´elles n´étaient pas des terres agricoles, les terres à aptitude forestière furent mises aux enchères à bas prix par l´Etat, et à cause de la crise économique, nombreuses furent les propriétés qui furent également vendues28. L´expansion forestière eut lieu sur les terres agricoles qui appartenaient aux communautés mapuches et qui furent expropriées pendant la dictature. Aujourd´hui, sur plus d´un million d´hectares de plantations d’arbres, plus de 90% se trouvent entre les mains d’entreprises forestières, et particulièrement dans la région d’Arauco. Cette situation explique, en grande partie, les conflits que rencontrent actuellement les communautés mapuches avec les entreprises forestières présentes sur leur territoire ancestral. Par exemple, des faits antérieurs aux conflits existants, surtout dans la neuvième région, eurent déjà lieu en 1998 lorsqu´à Temulemu la communauté mapuche s´opposa à l´entreprise forestière Mininco pour 58,4 hectares. Ces terres étaient inclues dans le Título de Merced qui leur avait été octroyé, mais elles avaient été expropriées par le propriétaire du fond Santa Rosa de Colpi. Cette situation n´avait pas encore été résolue, et de cette façon, les terres furent rendues aux propriétaires jusqu´en 199829.

23De nombreux hectares de plantations servant à l’utilisation forestière ont été plantés pendant les années des gouvernements Frei et Allende. Entre 1965 et 1973, la superficie replantée représente de 21 000 à 30 000 hectares, principalement dans les provinces d’Arauco, de Malleco et de Cautín. Durant cette période de reforestation, les intervenants étaient les Mapuches, qui plantaient et géraient ces terrains. Ces terres constituent une partie importante des terres expropriées.

24Par exemple, pour 1973, la CORA possédait dans la XIè régio 710 816 has.

25 José Aylwin O., Tierra y territorio mapuche : un análisis de desde una perspectiva históric-jurídica, Mayo 2000, Proyecto Mapu Territorialidad, Instituto de Estudios Indígenas, Universidad de la Frontera, Temuco, Chile.

26 Jacques Chonchol, dans Raúl Blanchet, La doble razón del reclamo mapuche, El Siglo –25 mars 1999 http://www.fortunecity.es/felices/lahabana/260/articulo2.htm

27FUNDECAM, « Antecedentes para la Federación Internacional de Derechos Humanos », imprimé fourni aux membres de la mission par cette organisation non gouvernementale.

28Par exemple, dans les provinces d’Arauco, Malleco et Cautín, la CORA qui a conservé en sa possession 415 053 has, a transféré ces terres à la CONAF, qui aurait adjugé une partie de celles ci à des entreprises forestières à des prix minimaux.

Un autre élément qui est à la base de la perte des terres mapuches pendant la contre réforme agraire, est l’adoption en 1979 du décret loi de division des communes indigènes30. Auparavant, les terres qui restaient sous la propriété des mapuches, se retrouvaient sous une disposition légale qui permettait leur transfert uniquement entre membres d´une même communauté ou ethnie. Cependant, la politique de division des terres indigènes incitée par Pinochet en termina avec le statut spécial des communautés indigènes et celui de leurs terres, en les intégrant au régime commun du droit national. En réaction à cette politique discriminatoire, une organisation politique Mapuche a vu le jour en 1978, “Ad-Mapu”, qui revendiquait l´autonomie territorial et politique du peuple mapuche sur la base du Principe d’Autodétermination des Peuples.

Depuis l’approbation de cette loi et jusqu’à la fin du régime militaire en 1990, autour de 2 000 communautés mapuches furent divisées, donnant jour à environ de 72 000 propriétés rurales individuelles sur un total de 463 000 hectares31. La division des terres communales fut à l’origine de la petite propriété, ce qui participa à l’appauvrissement de la population mapuche rurale et accéléra sa migration vers les centres urbains. Actuellement, environ 80% de la population mapuche habite dans des zones urbaines marginales, tandis que seulement les 20% restants (192 763 personnes) conservent leur condition rurale. La paupérisation des économies agraires mapuches et la réduction de leurs territoires, ont été des faits constants durant les dernières décennies du siècle dernier.

*Actions en justice et récupération de terres mapuches.

A la fin du régime militaire de Pinochet, plusieurs organisations mapuches posèrent un ensemble de revendications pour protéger leurs droits menacés comme celui de la terre et pour exiger une nouvelle relation avec l’Etat et la société chilienne. Ils réclamèrent la reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle toujours niée au Chili, l’autonomie politique et territoriale du peuple mapuche, et une importante quantité de terres ancestrales aujourd’hui possédées par les entreprises forestières. Ces réclamations “se fondent sur le fait que soit ces terres ont appartenues aux territoires juridictionnels des logkos durant la période pré-réductionnelle; soit ont été inclues dans les titres de seigneurie attribués par l’Etat et ont par la suite été attribuées à des particuliers en vertu des lois divisionnaires en vigueur entre la décade des années vingt celle des années quatre vingt dix; soit ont été occupées par leurs communautés durant la période de la réforme agraire, et ont ensuite perdues pendant le processus de contre réforme agraire sous Pinochet”>32.

A Valvivia, une douzaine d’hommes et de femmes exposèrent à la mission de la FIDH les conflits qui les opposaient aux entreprises forestières de la région. Ces communautés ont intenté des poursuites judiciaires pour obtenir la restitution de leurs terres, usurpées par des propriétaires privés essentiellement pendant la dictature du général Pinochet. En outre, les longkos (chefs de communautés) rappellent que les colons espagnols reconnurent les droits sur leurs terres et citent l’exemple de Chiloé. En 1826, Chiloé fut annexée par la république chilienne qui rejeta la reconnaissance des titres de propriété des Mapuches. Peu à peu les colons chiliens, les “nouveaux colons” vendirent leurs propriétés à de grandes entreprises, parmi lesquelles certaines ne sont pas chiliennes mais étrangères. La loi indigène actuelle n’a pas prévue le retour de ses terres aux indigènes. Aujourd’hui, à Chiloé, des tables de négociation réunissent les diverses parties pour négocier la récupération des terres. “Notre terre, disent-ils, nous ne l’avons pas défendue pour qu’elle soit vendue à d’autres pays par l’intermédiaire de multinationales”.

29McFALL : 2001.

30Décrets Lois 2568 et 2750 de 1979.

31José Aylwin O., Tierra y territorio mapuche : un análisis de desde una perspectiva históric-jurídica, Mayo 2000, Proyecto Mapu Territorialidad, Instituto de Estudios Indígenas, Universidad de la Frontera, Temuco, Chile.

32Ibid.

De la même manière que les Mapuches de Valvadia, les Mapuches de Collipulli ont intenté une action en justice33. “Nous possédons des documents datant de l’époque des colons espagnols qui reconnaissent la frontière du Haut Biobio. L’Etat chilien a reconnu cette frontière. Cependant il a vendu nos terres au prix de nos vies. C’est pour cela qu’aujourd’hui, nous réclamons avec autant de force notre territoire”.

Cependant, les formalités se transformèrent en d’interminables problèmes bureaucratiques sans aucune résolution définitive et les aspirations des communautés se changèrent en frustrations. Par conséquent, le peuple mapuche se sent trahi après avoir eu recours pendant tant d’années à la justice sans aucun résultat.

Cependant, et pour attirer l’attention des autorités, qui ne prennaient pas directement la responsabilité de cette situation, de nombreuses communautés décidèrent d’exiger leurs droits de façon directe et en vinrent ainsi à récupérer les territoires qui autrefois leur appartenaient. Les organisations mapuches incitèrent de manière pacifiste à des actions de récupération des terres et au blocage des exploitations et travaux qui avaient lieu dans ce qu’ils estiment être leur territoire. Ces premières récupérations de terres qui appartenaient aux entreprises forestières commencèrent en 1991 dans la province d’Arauco et furent dirigées par l’une des plus puissantes organisations mapuche, appelée le Conseil de Toutes les Terres.

En réponse aux manifestations indigènes massives qui répudièrent la célébration des 500 ans de la découverte de l’Amérique et aux demandes organisées des Mapuches, la loi indigène 19.253 fut promulguée en 1993. Pour calmer les revendications des mapuches, cette loi crée un fond qui permet d’acheter des terres aux entreprises forestières. En réalité, à cause des pressions exercées par les entreprises, le fond n’est pratiquement pas financé. En conséquence, cela ne résout pas le problème de la restitution des terres usurpées et réclamées par les communautés. La loi indigène est inefficace et elle affaiblie considérablement la reconnaissance des demandes plus intégrales des Mapuches. De la même façon, la Corporation Nationale de Développement Indigène (CONADI), organisme créé par cette même loi et chargé de promouvoir et exécuter l’action de l’Etat, n’a pas su aborder le problème des terres usurpées et s’est vite retrouvé dépassée par les événements.

Il faut signaler l’existence de politiques publiques sur d’autres thèmes (éducation, développement…) en rapport avec les actions du gouvernement en faveur des mapuches. Cependant, l’analyse détaillée de chacune d’entre elles dépasse de beaucoup l’objet et la portée de ce rapport34.

Actuellement les mapuches n’utilisent pas les actions judiciaires comme mécanisme utile pour récupérer leurs terres. Leur principale stratégie consiste à réclamer leur achat au fond de terres de l’Etat. Les communautés s’opposèrent souvent aux entreprises forestières en occupant leurs terres, en réclamant leurs droits légitimes. S’il est vrai que les communautés mapuches ne réalisent qu’exceptionnellement des actions violentes qui endommagent la propriété privée, la seule réponse face à ces actions de la part des autorités a constitué en une répression violente absolument disproportionnée et destinée à sauvegardée les intérêts des grandes compagnies, en se référant au respect de la propriété privée. Le gouvernement a souvent critiqué les actions des Mapuches en les qualifiants de terroristes. Par exemple, en 1994, suite à leurs actions de récupération, 144 Mapuches ont été condamnés pour association illicite et usurpation de terres. Ainsi, pour le gouvernement, les communautés en conflit sont celles qui altèrent la tranquillité et la paix sociale au Chili. L’Etat refuse le dialogue avec les Mapuches arguant qu’il ne discute pas sous des pressions, niant en réalité et de fait la problématique des terres en conflit. En 1996, les 144 Mapuches emprisonnés présentèrent un recours devant la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme de la OEA, en accusant le gouvernement chilien de persécution politique, ethnique et de violation de leurs droits civils.

A partir de ces faits, les mobilisations de regroupements mapuches ont été croissantes. Les Mapuches réalisent des marches, des barrages de routes, des manifestations, des grèves de la faim, des occupations de propriétés réclamées par les communautés, des manifestations contre les entreprises forestières et des critiques aux autorités et aux politiques du gouvernement… Le 13 octobre 1997, dans la localité de Lumako, province de Malleco, des membres de la Pichinloncoyan et Pilinmapu investirent dans le fond Pidenco, avec pour objectif de paralyser les activités forestières de l’entreprise Arauco. De cette manière ils prétendaient récupérer les terres où ils habitèrent autrefois. Les Mapuches furent délogés avec un nombre important de blessés et de prisonniers. Ce fait constitue le début d’une confrontation continue entre les indigènes qui réclament «leurs terres » et les entreprises de bois, actuelles propriétaires des fonds en question.

33Les avocats Mapuches réclament l’examen des titres non reconnus par l’Etat chilien. Ces titres représentent à Chiloé, 32 000 has.

34Sur ce point, voir par exemple la page web de la CONADI.

Face à cette politique répressive, les communautés en conflit, réunies en plusieurs coordinations mapuches, se radicalisèrent en rompant le dialogue avec le gouvernement et en demandant la « récupération totale et la légitimation permanente de ses droits »35. Jusqu’à présent les mobilisations mapuches ont été systématiques et progressives : un grand nombre de communautés entre la huitième et la neuvième région se sont ralliées à une politique d’actions conduisant à la récupération du dénommé territoire ancestral mapuche. Ces faits montrent une situation de conflit croissant sur le territoire Mapuche.

En conclusion, nous avons vu que le conflit à propos des titres de propriété de terres entre les communautés mapuches et les entreprises forestières est complexe. Certaines communautés ont eu recours à la justice chilienne depuis plusieurs années pour résoudre ce problème. Or les tribunaux ont refusé de prendre des décisions. Par conséquent, après avoir espérer près d’une décennie, les communautés qui considèrent les terres occupées par les compagnies forestières comme leurs terres ancestrales, ont décidé de les occuper physiquement. Bien que ces occupations puissent être considérées par certains tribunaux comme illégales, la FIDH considère que dans de nombreux cas elles répondent à des préoccupations légitimes. Le gouvernement doit assumer sa responsabilité face à ce problème et chercher une solution juste et viable à la question fondamentale des titres de propriété des terres en dispute, avec comme objectif celui de résoudre le «conflit Mapuche » et d’établir la paix dans cette région du Chili.

2. Répression du peuple mapuche

Les entreprises forestières et l’Etat Chilien ont préféré privilégier la répression et la militarisation du territoire mapuche, au dialogue.

Il faut souligner tout d’abord que les compagnies forestières emploient officiellement des gardes privés pour protéger leurs installations et assurer le bon fonctionnement des entreprises face aux actions de récupération de terres et aux barrages de routes réalisés. Ces gardes privés armés, qui échappent à tout contrôle, ont recours à des méthodes d’intimidation et de pression sur les dirigeants mapuches. De plus, ils provoquent et agressent les communautés en incendiant leurs habitations et en les persécutant. Ces agressions ont également pour but de provoquer les réactions parfois violentes des mapuches et de les montrer à l’opinion publique. Par exemple, en avril 1998, les fonctionnaires de sécurité des entreprises forestières ont détruit un campement mapuche de la communauté de Fren qui se trouvait sur un terrain que réclame la compagnie Bosques Arauco. En mai et juin de la même année, les gardes privés ont détruit des champs de blé cultivés par les mapuches avec des véhicules motorisés et ont dispersé des produits chimiques afin de contaminer les sources d’eau utilisées par cette même communauté. En mars 2000, un camion de la Forestal Mininco a percuté un mapuche appelé Alarcón Peña36, causant ainsi sa mort. Il faut souligner que la plupart de ces actions de violence et d’abus n’ont jamais été jusqu’à ce jour dûment considérées ni instruites par la justice chilienne.

Les entreprises usent également de diverses manoeuvres pour inculper les mapuches. Par exemple, les mêmes gardiens ont incendié de petites plantations des entreprises forestières et ont détruit leurs camions afin de dénoncer les faits à la police en attribuant ces actions aux communautés mapuches. Ces sabotages ont pour but de “confondre et dénigrer les demandes légitimes des communautés mapuches qui réclament les droits territoriaux qu’elles détenaient avant l’invasion des entreprises forestières. Ils ont pour conséquences des procès judiciaires non-fondés, des condamnations constantes et une importante répression”37.

En second lieu, la FIDH est extrêmement préoccupée par la répression exercée par les forces de police appartenant à l’institution des carabiniers (forces en uniforme) contre le peuple Mapuche. Officiellement, l’Etat ne prend pas part au conflit. En réalité, il est directement responsable de violences contre les dirigeants et les organisations mapuches. En effet, de nombreuses communautés ont été victimes d’opérations policières accompagnées d’actes de violence contre les personnes et les biens matériels. Beaucoup d’organisations mapuches accusent également les carabiniers de persécution contre les dirigeants mapuches et de violences excessives contre les membres des communautés en conflit. De même il est inquiétant que l’Etat n’adopte aucune mesure pour garantir la protection des Mapuche.

35Coordinación de Comunidades Mapuche Williche Comuna de Panguipulli, Récapitulatif et fondements des récupérations ancestrales, document de travail interne, 2001.

36Alfredo Seguel, Invasión forestal y etnocidio Mapuche, 2001.

37Luis Llanquilef Rerequeo, Informe de la situación de derechos humanos en la Provincia de Arauco, Cañete 25 avril 2002.

Certains documents démontrent un abus de pouvoir et des actions irrégulières des carabiniers envers les mapuches. Le plus souvent, les expulsions des mapuches qui occupent les terres des entreprises forestières sont très violentes. Beaucoup de mapuches ont été blessés par la violence policière, certains par balles. En juin 1998, dans la province de Los Alamos (VIII région), les carabiniers et les gardes privés ont attaqué ensemble avec des armes à feu les mapuches qui occupaient une propriété qu’ils réclamaient comme étant la leur. Cette altercation a provoqué des lésions et des fractures à plusieurs Mapuches. Le 13 novembre 2001, dans la province de Malleco, cent policiers vêtus d’uniformes anti-émeutes et munis de fusils ont expulsé des mapuches occupant une zone en conflit appartenant à l’entreprise forestière Mininco en leur lançant des bombes lacrymogènes et en leur tirant dessus. Quatorze mapuches furent blessés par balles et beaucoup d’enfants eurent de sérieuses complications respiratoires à la suite de leur asphyxie38.

La mission de la FIDH s’est déplacée à Cañete dans la commune de Tirua, invitée à participer à une réunion des membres de la communauté à laquelle assistait le nouveau gouverneur, élu au début de l’année. Cette réunion a permis un échange entre les Mapuches et le gouverneur qui a pris connaissance des graves incidents survenus le 15 mai 2001. Ce jour se déroulait la fête mensuelle qui réunit près de 500 000 personnes pendant deux jours. Les Mapuches originaires de toutes les régions y participent. C’est à cette occasion que sont distribuées les pensions d’assistance de l’Etat. En effet, 80 % de la population de la région bénéficie de cette aide. Lorsque deux Mapuches, accusés d’occuper illégalement des terres et recherchés par la police, furent reconnus sur les lieux, on procéda à leur arrestation. Dans le désordre général qui a suivi, la police a violemment réprimé l’ensemble des personnes présentes. Face au désordre, les policiers ont sortis leurs armes de services, ont tiré sur la foule blessant par balles cinq ou six personnes. Deux mapuches furent gravement blessés. Ces faits ont été reconnus par le gouverneur. Cinq des policiers dont la violence a été attestée furent transférés à un autre poste à la suite de ces événements. Si le gouverneur Rodrigo Peñailillo a affirmé aux chargés de mission que moins de 1% de la violence de cette zone est imputable aux mapuches, il précise «qu’il ne sera toléré aucun abus, ni d’un côté ni de l’autre ». Après cette réunion entre les membres de la communauté et le gouverneur, ce dernier s’est engagé à empêcher les actes de violences commis par les forces de l’ordre.

Une autre « confusion » s’est produite le 26 janvier 2000 dans la communauté de Lleu lleu, durant laquelle Abraham Santi Calbullanca fut blessé et rendu aveugle par des balles tirées par des agents de police. Le jeune homme s’est déplacé par ses propres moyens à l’hôpital le plus proche de Cañete, où il a reçu des soins préliminaires. Nécessitant une assistance médicale plus importante, il a dû se rendre toujours par ses propres moyens jusqu’à Conception où on l’a informé qu’il avait perdu un œil.

En 2002, la violence contre les mapuches n’a pas diminué et a même augmenté comme le montrent les différents faits survenus après la mission réalisée par la FIDH. Le 12 novembre 2002, le jeune Lemun (17 ans) a trouvé la mort après avoir été blessé par une balle dans la tête durant des affrontements opposant la police à un groupe de mapuches qui avaient entrepris, depuis le 7 du même mois, une récupération de terres. Le jeune Lemun occupait un terrain en conflit, que possède actuellement l’entreprise Mininco. Les témoins des faits ainsi que les enquêtes préliminaires sur le projectile qui a tué Alex Lemun, ont établi la responsabilité des carabiniers39. Ce fait est le plus grave qui soit survenu ces dernières années dans le cadre du conflit qui oppose le peuple mapuche aux compagnies forestières. Il a alimenté et renforcé les revendications des communautés mapuches qui se considèrent comme victimes et ont élevé symboliquement Alex Lemun au rang de martyre.

Traitement du conflit mapuche devant l’opinion publique

38Alfredo Seguel, Invasión forestal y etnocidio Mapuche, 2001.

39Le directeur général des carabineros a reconnu dans la presse la responsabilité des carabiniers dans ce crime. Cependant, le responsable n’a toujours pas été déterminé juridiquement et aucune sanction n’a été établie.

Pour bien comprendre le conflit mapuche, il est important de considérer la position que tiennent les différents secteurs de la société chilienne. Les actions des Mapuches sont considérées par la plupart comme préjudiciables au développement économique du pays et sont même qualifiées « d’actions terroristes ».

Ces deux paramètres coïncident avec la perception générale internationalement accordée aux peuples indigènes. Cette opinion est partagée par les autorités étatiques, régionales et provinciales consultées. Selon la perception la plus répandue, le conflit opposerait deux acteurs, d’une part les membres violents des communautés et de l’autre les entreprises forestières. L’Etat n’étant pas considéré comme un protagoniste du conflit. La FIDH tient cependant l’Etat responsable de :

– la non-résolution des procédures judiciaires

-la protection des Mapuches contre la répression physique exercée par les gardes privés des entreprises forestières

– l’usage de la force contre les manifestants

– la recherche d’une solution pacifique

Le point de vue des entreprises forestières sur le conflit est amplement diffusé. On peut à ce propos livrer ici celui de la CORMA, représentante officielle de l’ensemble des entreprises du bois : « Le conflit mapuche a réveillé un haut degré d’incertitude dans le secteur forestier de la IXè région. Depuis quelque temps dans cette région, les entreprises forestières ont été victimes de nombreux actes de vandalisme qui ont autant affecté les biens matériels, les bois et les machines, que les employés40. Le conflit mapuche a créé un climat de méfiance dont la conséquence directe est une baisse notable des investissements dans les régions VIII et IX. Les entreprises associées à notre corporation ont réorienté leurs investissements vers des secteurs moins conflictuels, et ont même dans certains cas gelé tous les achats de terrains ou de plantations. C’est un des facteurs qui explique en partie la baisse du taux de plantations au niveau du pays qui cette année sera seulement de 50 mille hectares, alors que ce taux pour la décennie passée était supérieur à 8o mille hectares par an. 41»

De nombreuses autres déclarations émanant de personnes liées au commerce du bois sont régulièrement publiées par la presse chilienne nationale et régionale. On peut lire entre autres : « Face à la violence persistante exercée par des groupes minoritaires qui utilisent politiquement les demandes et aspirations des chiliens d’origine mapuche, les autorités ont le devoir de faire respecter l’Etat de droit et de garantir l’ordre public. A cette fin, elles ont à leur disposition un ample choix d’instruments et de mesures normatives. Si comme le signale l’évêque de Temuco, certains acteurs de ce conflit peuvent être qualifiés de terroristes, le gouvernement doit agir en conséquence et déployer les dispositions légales adéquates et exiger des tribunaux qu’ils les appliquent.42 En accord avec un document secret élaboré dans le cadre de la conférence des forces américaines (CEA), à laquelle participent les hauts fonctionnaires militaires de toute la région, le conflit mapuche pourrait se convertir en un problème de sécurité publique beaucoup plus important que les actions terroristes au Chili.43 »

Ces déclarations sont très surprenantes quand on considère que le peuple mapuche ne possède aucun type d’armes. Cependant, dans la presse chilienne, le traitement de l’information concernant les Mapuches est très particulier. Il n’est fait mention des indigènes qu’en cas de conflit et de manifestations violentes. La lutte des Mapuches apparaît dans la presse comme une lutte pour l’autonomie, comparée à celle menée par L’ETA ou celle du sous-commandant Marcos au Chiapas.

« La violence, explique Rosamel Millamán (anthropologue à l’université catholique de Telmuco), est présente dans chaque Mapuche. Elle a des racines historiques : maisons incendiées, femmes violées, terres saccagées. Les affrontements entre les Mapuches et les gardes armés des entreprises forestières sont le signe d’une protestation profonde. La répression du gouvernement contre les indigènes est dure. Le gouvernement a établi clairement une distinction entre le « bon mapuche » et le « mauvais mapuche », lequel proteste et réclame le respect de la loi. Le gouvernement en déduit qu’il n’y a pas de possibilité de dialogue avec les Mapuches. »

Ce qui semble le plus important n’est donc pas tant la conjoncture – aussi graves en soient les conséquences – que l’incapacité des gouvernements de la Concertation à apporter une réponse efficace avec des solutions concrètes aux problèmes que soulèvent les paysans d’origine mapuche, lesquels sont sans doute les plus pauvres d’entre les pauvres du Chili. Comme dans d’autres situations, le gouvernement montre ici son incapacité à gérer les situations de crise.

40CORMA, conséquences du conflit indigène dans la IXè région pour le secteur forestier

41Ibid.

42Journal La Tercera, 28 mars 2002, Plan Araucania, Eduardo Diaz

43Journal, La Nation, 14 mai 2001, Le conflit mapuche : plus important que le terrorisme au Chili

Il est d’autre part intéressant de connaître les opinions exposées par des représentants du pouvoir législatif lors d’un forum de réflexion appelé « Adoption de mesures en relation au dénommé « conflit mapuche » . Projets d’accords ». Dans ce cadre, nous prenons connaissance de l’opinion donnée par le représentant de Rénovación Nacional : « Le gouvernement, sensible aux aspects sociaux de la demande publique émise par les peuples originaires, tentera d’offrir des bénéfices de toutes sortes à la communauté indigène. La transformation d’une violence terroriste en conflit racial est hors de propos ! Je répète : La transformation d’une violence terroriste en conflit racial est hors de propos ! Nous devons protéger et promouvoir les droits fondamentaux des personnes, quelle que soit la couleur et l’ethnie. Il faut assurer le respect de l’état de droit. Le Chili est un seul. Nous le construisons ensemble, sans divisions et dans la paix »44. « Si nous voulons l’intégration sociale et non la violence, si nous désirons l’unité nationale et non les révoltes séparatistes, il faut travailler fort et une fois pour toutes dans ce sens. L’intégration du Chili au monde ne peut se faire au prix de la désintégration nationale. »45

Les membres de la Commission de travail autonome mapuche (COTAM), ont exprimé leurs préoccupations sur la perspective qui s’intègre dans l’opinion publique sur les mapuches, qui fait de la pauvreté, de l’exclusion et de l’expropriation territoriale, les conséquences des actions réalisées par les mapuches.

Cette préoccupation se retrouve dans les entretiens que nous avons eus avec les universitaires, les groupes mapuches et même avec le président de la commission « Verdad histórica y Nuevo Trato »46, l’ex-président de la république chilienne, Patricio Aylwin.

« Le thème mapuche exige une prise de conscience de la réalité que la société chilienne a jusqu’à aujourd’hui refoulée » constate Patricio Aylwin. « Ainsi, au collège, l’histoire du Chili enseigne aux élèves que l’Etat chilien a voté des lois pour protéger les indigènes mais que leurs conditions d’infériorité est due à leur paresse et qu’ils sont un obstacle au développement de la région. La réalité est que la « pacification » menée par l’Etat au 19eme siècle fut purement et simplement une occupation. Cette information devrait provoquer un choc culturel dans la société chilienne et une nouvelle perspective dans la manière de traiter les indigènes. Beaucoup de chiliens pensent que les mapuches ont disparu, que ce ne sont que des chiliens pauvres et sans racine. Ils n’ont pas idée de la richesse culturelle indigène. » Patricio Aylwin est optimiste et pense que le travail de la commission mènera à des décisions concrètes. « Je crois que la vérité finit toujours par percer. J’ai confiance dans le poids de la raison et de la justice. A mon âge, si je n’avais pas foi en cette commission je n’aurais pas accepté d’en être le président. »

En ce qui concerne les conflits avec les entreprises forestières, toutes les autorités présentes dans les communautés mapuches expriment leurs inquiétudes pour le futur. « Nous n’avons aucune garantie constitutionnelle. Nous demandons que le président du Chili prenne en compte les territoires autonomes que nos ancêtres ont défendus et sur lesquels nous vivons. Nous demandons le droit à l’éducation, au travail, à la vie. Nous réclamons ce qui nous appartient : la terre. Sans elle nous ne pouvons pas vivre, sans elle aucun développement n’est possible. Dans peu de temps nous serons un peuple mort. Nous sommes en conflit permanent avec la force publique. Nous, les Mapuches, nous n’avons pas de forces armées, nous n’avons droit ni à la justice ni à l’éducation. » « Du temps de Pinochet, nous avons été soumis à une répression raciste et politique, nous avons été considérés comme un groupe d’extrême gauche. Nous ne sommes pas un parti politique, nous luttons pour la récupération de nos terres. Et pour cela, ils nous appliquent la loi anti-terroriste et nous considèrent comme une association illicite… ».

3. Persécutions judiciaires des dirigeants et des membres des communautés mapuches

44Déclarations de Francisco Bayo, cession spéciale « conflit mapuche »

45Eduardo Zafirio, Démocratie chrétienne

46Le rôle de la comission « Verdad histórica y Nuevo Trato » est de rendre publique des informations sur les relations de la société chilienne et le peuple indigène depuis le commencement de leur histoire commune. Il s’agit de formuler des propositions pour inciter l’Etat a initié une véritable politique de dialogue et fonder de nouvelles relations entre les deux parties. Cette commission composée de 22 membres n’intervient pas dans les problèmes actuels.

Du point de vue judiciaire, on observe une criminalisation du conflit mapuche. L’Etat chilien sous l’administration du président Ricardo Largos, a intensifié une politique répressive directe et criminelle contre les mapuche et leurs organisations. Face aux actions de récupération de terres et aux demandes de droits, les entreprises forestières ont obtenu de l’Etat que de nombreux mapuches soient poursuivis en justice. Les actions diligentées par des entreprises forestières ont ainsi abouti à de nombreux procès et de nombreuses condamnations.

On peut à ce propos consulter en annexe47 une liste, établie sur la base d’enquêtes académiques, concernant les incidences juridiques des événements liés aux conflits territoriaux et imputés aux mapuches. Cette enquête montre qu’en août 2002, la totalité des inculpés mapuches pour leurs activités et/ou leurs participations à différentes mobilisations contre les entreprises forestières, atteignait 91 personnes. Les délits dont ils sont inculpés sont : associations illicites (35 cas), attentats et désobéissances à l’autorité (14), enlèvement (11), vol (10), incendie (9), usurpation (5), tumulte et désordre (2), dommage (1), insulte (1). En ce qui concerne la situation des procédures, 80% des inculpés sont en liberté conditionnelle assortie de mesures de précaution, 18% sont en détention préventive et 2% sont libres mais assignés à résidence.

La FIDH conclut donc que parallèlement aux procédures de récupérations de terres, aux programmes et aux actions d’aide mise en place par l’Etat, à la participation directe et à la consultation des Mapuches, se développe une série d’actions judiciaires visant à inculper les dirigeants, lonkos, werkens ou simples membres des organisations mapuches. Les mapuches dont les actions menées en relation avec les demandes territoriales sont les plus visibles48sont particulièrement poursuivis. A ce propos, il faut souligner que les communautés en conflit revendiquent le statut de prisonniers politiques pour les dirigeants incarcérés comme Victor Ancalaf Llaupe49arrêté en novembre 2002 pour son activité politique en faveur de la défense des droits mapuches.

De plus, les avocats défenseurs des prisonniers mapuches sont également menacés et ont été victimes de mise sur écoute téléphonique. Il nous a ainsi été communiqué, après à la mission, le cas de l’avocat Pablo Ortega qui défend un grand nombre de mapuches emprisonnés ou inculpés. Ce dernier a été victime d’une mise sous écoute, laquelle viole le droit à la défense et à la confidentialité des conversations entre les avocats et leurs clients et constitue une forme d’intimidation. Ce fait a été porté devant le Tribunal de Garantia le 24 décembre 2002.

Les personnes actuellement détenues pour être les acteurs supposés de délits dans le cadre du conflit mapuche, se trouvent inculpés parfois en même temps sous différents régimes légaux : la Loi Anti-terroriste, la loi n° 12 927 de Sécurité intérieure de l’Etat50, ou simplement identifiés à des délits contre la propriété privée relevant du Code pénal chilien51. Ce point est considéré comme crucial par la mission, car il revient à dénoncer l’absence d’une sécurité judiciaire pour les Mapuches, considérant que dans de nombreux cas les prisonniers se trouvent inculpés, pour un même délit, par diverses lois52.

D’autre part, l’application de la réforme de la procédure pénale qui est réalisée de manière progressive dans différentes régions géographiques du Chili53, a retenu l’attention de la mission. Dans de nombreux témoignages, apparaît l’inquiétude que cette réforme soit finalement un instrument au service de la répression contre les Mapuches.

47Annexe 2 : Liste des accusés mapuches liés au conflit territorial. Source : Instituto de Estudios Indígena, Informe sobre la situación de derechos del pueblo mapuche, Universidad de la Frontera, http://www.derechosindigenas.cl

48Notamment les dirigeants de la Coordination Mapuche Arauco-malleco : José Llanquilef, Cecilia Salazar, Angélica ñancupil, José Llanquileo, ainsi que plus de cent de ses membres qui se trouvent actuellement en liberté provisoire.

49Actuel dirigeant des communautés en conflit de Collipulli et ex porte-parole de la Coordination Arauco Malleco

50Ces lois, héritées du régime dictatorial de Pinochet, favorisent les violations des droits de l’homme. Au chapitre précédent, on a pu constater que diverses opinions se portent publiquement en faveur d’une application plus sévère de l’administration judiciaire.

51Selon des informations qui nous sont parvenues ultérieurement à la mission, certains mapuches seraient également inculpés par des tribunaux militaires.

52Tel est le cas pour les longkos Pichun et Norin

53Selon Mauricio Solines du Ministère public chilien, dans une entrevue réalisée avec lui à Santiago, la réforme pénale doit être progressivement instituée comme suit :

2000 – IV et IX région

2001 – II, III et VII région

2002 – I, XI et XII région

2003 – V, VI, VIII et X région

2004 – région métropolitaine

Cette réforme de la justice pénale a été mise en œuvre dans la majorité des pays latino-américains et consiste en un changement des procédures et des concepts dont use cette discipline du droit. Elle cherche à mettre en place d’une part, un système efficace, par lequel le sujet inculpé aurait effectivement les garanties d’un procès équitable et d’autre part de mettre fin au critique du système administration de la justice afin de renforcer les paramètres d’équité et de transparence en établissant l’autonomie entre les procédures d’investigations et les instances en charges du verdict.

Cette réforme est confiée à des organismes multilatéraux. Soutenue par des aides économiques qui assurent sa mise en place, elle s’élabore au travers de séminaires internationaux et d’échanges entre les membres des institutions étatiques chargées de l’administration judiciaire de divers pays. Elle fait partie d’un processus d’harmonisation du système légal chilien avec les standards internationaux de protection des droits humains. Dans la pratique, une réforme de ce type doit prendre en compte les conditions d’exercice de la défense. Afin de répondre aux critères d’un procès équitable, il est nécessaire que la défense dispose des mêmes moyens matériels et économiques que l’Etat.

Dans le contexte actuel de persécution judiciaire des Mapuches, la réforme de la procédure pénale protège avant tout les droits des particuliers et des entrepreneurs propriétaires aujourd’hui des terres réclamées par les communautés.

Néanmoins, cette réforme devrait instituer la création d’une « défense pénale publique » pour les mapuches auxquels participeraient des partenaires légaux, médiateurs interculturels et traducteurs.

Mais alors que sa mise en place est à peine commencée, cette réforme « favorable à l’inculpé » génère pourtant beaucoup de peurs et d’inquiétudes de la part des prisonniers mapuches et de leurs défenseurs. Cette réforme est en effet critiquée et dénoncée comme une nouvelle forme d’oppression.

Pour illustrer cette analyse, la mission a choisi le cas de 4 personnes incarcérées à Traiguen, accusées d’incendie et qui se considèrent comme « détenus politiques » mapuches 54. Cet exemple est emblématique de la manière dont les dirigeants mapuches sont persécutés et cela dans le cadre d’un régime de justice pénale censé respecter les garanties fondamentales. En décembre 2001, la maison d’un propriétaire, administrateur de la propriété de Juan Agustin Figueroa, a été incendiée. Le longko de la communauté de Temulemu, Pascual Huentequeo Pichun Paillalao et celui de la communauté de Diadico, Segundo Aniceto Norin Catriman, qui travaille pour la CONADI, ont été inculpés de ce délit. Ils se trouvent tous deux prisonniers à Traiguen. Sont également prisonniers les fils55de Pichun : Rafael, 21 ans et Alejandro, 18 ans. Tous deux étudiants à l’université catholique de Temuco, ils furent arrêtés le 12 avril 2002 et accusés d’avoir mis le feu à un camion appartenant à une entreprise forestière.

Ces procès révèlent des irrégularités de forme et de fond. Premièrement, les deux lonkos ont été incarcérés sans qu’ils passent en procès. Deuxièmement, alors que ni l’un ni l’autre n’ont d’antécédents judiciaires, ils ont été inculpés conformément à la loi de sécurité intérieure de l’Etat et à la loi anti-terroriste, qui autorisent des délais de détention supérieurs à ceux établis par la loi commune, plus favorable aux inculpés.

54Sur un total de 14 détenus, dix furent incarcérés pour délits de droits communs et quatre sont considérés comme prisonniers politiques. Les conditions de détentions sont les suivantes : 35 prisonniers par cellule, une seule douche. Les lits sont de simple plans de fer, dépourvus de matelas. Il n’y a pas d’activités, ni d’ateliers et les visites sont permise trois fois par semaine. Les prisonniers que nous avons visités déclarent que leurs gardiens sont en général conciliants et qu’ils ne sont pas victimes de mauvais traitements.

55Ces deux jeunes garçons sont reconnus comme fils par l’ensemble de la communauté. Cette perception rend compte d’une culture propre aux mapuches de l’ordre et du noyau familial.

De plus, le dossier révèle un manque total de preuves qui établiraient leur culpabilité56. Le procureur qui a instruit l’affaire a voulu leur faire signer une déclaration par laquelle ils reconnaissaient leur culpabilité, ce qu’ils ont refusé de faire. Il les a alors avertis qu’ils étaient susceptibles d’une peine de 15 à 20 ans d’emprisonnement pour avoir refusé de signer cette déclaration. Dans le cas des enfants du longko Pichun, ils ont été incarcérés dans le cadre d’une perquisition violente. En effet les policiers n’étaient pas sur le lieu de l’incendie, situé à quelques kilomètres de la maison où les deux frères ont été arrêtés. D’autre part les déclarations du chauffeur du camion sont contradictoires. Il a dans un premier temps déclaré qu’il n’avait pas vu les incendiaires, puis a reconnu de façon certaine Rafael et Alejandro comme étant les auteurs. L’unique « preuve » apportée par les policiers serait, selon eux, des traces de kérosène découvertes sur les vêtements des deux jeunes gens au moment de leur arrestation.

En complément de la visite aux détenus, la mission s’est rendue à la communauté de Temulemu où elle a pu constater la profonde affection dont souffre cette communauté suite à l’emprisonnement du longko Pichún. Les conditions de vie de sa famille57sont extrêmement difficiles. Son fils aîné raconte les actes de provocation et d’intimidation dont sont victimes les mapuches qui travaillent dans les entreprises forestières et les humiliations qu’ils subissent de la part des supérieurs. Il faut signaler que les quatre prisonniers ont entamé une grève de la faim en août 2002 pour dénoncer les injustices et les irrégularités de leurs procès. Face à la détérioration de leur santé, ils ont été transférés à l’hôpital de Traiguen en septembre.

Ces cas sont instruits selon la nouvelle procédure pénale. Il faut comprendre que la tentative de cette réforme qui tente de mettre en place un mécanisme pénal capable de faire respecter les droits des détenus, se voit détourné de son objectif premier puisque ces dispositions sont utilisées dans le cadre de l’application d’une loi anti-terroriste conçue pour la répression d’un régime dictatorial passé, lequel est précisément mis en cause par la communauté internationale pour violation des droits de l’homme.

Les magistrats chiliens doivent prendre en considération les normes de la Loi indigène. Dans le cas qui nous occupe, les détenus et leurs défenseurs58ont pu témoigner du manque de respect de la langue maternelle des deux longkos mapuches, enfreignant ainsi le fondement du régime légal, c’est-à-dire le droit à une défense claire et énoncée dans la liberté, le consentement et la pleine compréhension des inculpés59.

La loi indigène protège expressément les indigènes, leur culture, les familles et les communautés. Mais dans le cas présent, les familles sont au contraire sans protection et ont été victimes d’intrusions violentes justifiée dans le cadre des enquêtes. Les nombreux témoignages qu’a recueillis la mission montrent le degré d’insécurité dans lequel se trouvent les communautés :

« Dans le but de protéger les aborigènes, la loi indigène les traite comme des incapables. Cela contribue à renforcer le sentiment de misère et de mécontentement. La loi caricature à un tel point, que finalement elle nie le peuple. »60

56Il faut signaler qu’au Chili, la loi et la constitution accordent des facilités aux juges pour les détentions provisoires dans le cas d’enquêtes en cours ; que la liberté du détenu représente un danger pour lui-même ou pour la société. Ainsi, les juges disposent d’une liberté totale et donc à des décisions arbitraires. Dans ce système, les procureurs peuvent déterminer le délit pour lequel ils vont ordonner une enquête, et selon le délit, les juges appliquent le critère de dangerosité pour la société. Les procureurs formulent donc les accusations pour les délits les plus graves et répétés, qu’ils ne pourront probablement pas prouver lors du juicio oral, mais ils obtiendront la prison préventive.

57Pascual a trois épouses et sept enfants

58FUNDECAM, ibid.

59Art. 54 (troisième paraphe) Le juge chargé de l’instruction d’une cause indigène, sur demande de la partie intéressée et dans les actions ou diligences qui requièrent la présence d’une personne indigène, se doit d’accepter l’usage de sa langue maternelle et à cet effet devra se faire seconder ou assister par un traducteur qui sera mandater par la Corporation. La loi 19. 253 constitue de ce point de vue un modèle de la réforme de la justice pénale chilienne car elle mentionne la présence d’un traducteur dans les procès impliquant des indigènes.

60Entrevue réalisée par Carolina Soza J. avec José Ignacio Letamendi, président de la CORMA

Selon Adolfo Millabur, un des rares élus mapuches, maire de Tirua, avec lequel la mission s’est entretenue : « la loi antiterroriste, votée sous la dictature de Pinochet est antidémocratique. Il suffit d’un désaccord sur une question politique pour que l’on nous applique les procédures antiterroristes. Heureusement, je suis protégé par mon titre de maire. Je suis convaincu que ce sont les gardes privés armés qui ont provoqué l’incendie du camion pour inculper Pichún. Entre les mapuches et les compagnies forestières le conflit est permanent. La police est omniprésente dans le territoire mapuche. La plus petite altercation est rapportée devant les tribunaux. Il n’y a aucune possibilité de conclure des procédures à l’amiable, des compromis. La question indigène n’inquiète pas le pays. Il manque une volonté politique du gouvernement pour tenter de résoudre le problème mapuche. Au contraire, le gouvernement cultive la haine. La police est intouchable bien que ses exactions soient prouvées. Aujourd’hui l’état chilien négocie des accords commerciaux avec la communauté européenne afin de vendre du bois, la principale richesse du pays. Au moment où l’on parle du commerce équitable, les mapuches réclament une petite partie des immenses terres possédées par les entreprises forestières, terres qui appartenaient aux mapuches avant la colonisation. »

4. Autres conséquences de l’exploitation forestière sur le peuple mapuche

La mission de la FIDH a pu constater les conséquences de l’exploitation forestière sur la culture du peuple Mapuche et son environnement.

Actuellement, dans les régions de peuplement traditionnel mapuche, les terres sont majoritairement consacrées à la plantation d’espèces exotiques, qui remplacent les forêts natives et vont à l’encontre des formes de vie traditionnelles de cette zone.

Par exemple, dans la neuvième région du Chili, la proportion de culture exotique et de végétation native est de :

FORETS

SUPERFICIE (ha)

1. forêts natives

907.521

Forêts adultes

284.648

Replantation

446.585

Forêts adultes – replantés

93.722

Forêts jeunes

82.566

2. plantations de forêts exotiques

359.677

3. forêts mixtes

19.077

TOTAL FORET REGIONAL

1.286.275

Source : CORMA

Dans cette région, plus de 50% de la terre a un usage forestier-agricole, condition qui détériore irréversiblement les sols61. C’est ainsi que les forêts natives occupent 28,9% des terres en comparaison avec les 10,55% de plantations exotiques62.

A Valdivia, mille hectares sont exploités par les entreprises forestières dont le seul but est le profit. Cette exploitation à outrance des sols entraîne des conséquences dramatiques. Les compagnies forestières ont planté des pins et des eucalyptus, arbres qui à l’origine ne poussent pas dans cette région. La forêt native et la végétation originaire ont été éliminées, car les terres ont été incendiées pour être fertilisées avant de planter les pins et les eucalyptus. Cette exploitation provoque la destruction de l’environnement : assèchement du sol et épuisement des rivières; élimination des sommets et des friches indispensables à l’alimentation de la faune (cette élimination a produit la disparition des cerfs et des pumas); et la disparition progressive des plantes sauvages et des plantes nécessaires à la médecine traditionnelle pratiquée ici depuis toujours.

61Ainsi, beaucoup de sols de la IX région telles que Lumaco, Traiguen, Capitan Pastene, Imperial, Carahue et d’autres zones côtières, se trouvent dans un état de détérioration en raison de leur surexploitation. SANCHEZ Carlos; Expansion forestière : la vision technique, dans Mc Fall, Sara, comp., Territoire Mapuche et expansion forestière, Institut des études indigènes, Série séminaires n°5, Programme Territorialité Mapu, université de la Frontera, Chili, 2001

62Au commencement du XXe siècle, déjà 580 000 hectares de forêts natives ont été déforesté. Pour 1998, 4.300.000 hectares ont été déforesté dans la IX et la X région.

Néanmoins selon Emilio Guerra, responsable de la Corporation chilienne du bois dans la région de l’Auracanie, l’action de la corporation contribue à l’amélioration de l’environnement. Selon Guerra, « Jusqu’en 1970, 15% de la consommation nationale du bois provenait de la forêt replantée, 85% de forêts originaires. Aujourd’hui les chiffres sont inversés. Ces nouvelles plantations respectent l’écologie et permettent une meilleure exploitation. ». L’effet néfaste des plantations de pins et d’eucalyptus, la sécheresse du sol, … dénoncés par la communauté mapuche n’a pas de fondements sérieux pour Guerra « au contraire, la nappe phréatique est régulée par les plantations. »

Selon le Mouvement Mondial pour les Forêts Tropicales63: « La fragmentation de l’habitat résultant des activités humaines, comme les plantations forestières à échelle industrielle, génère des restrictions dans l’accès aux ressources vitales et à l’espace nécessaire aux espèces animales et végétales, et peuvent même conduire à la disparition d’écosystèmes entiers. Une fois que la structure du paysage a été altérée, la survie des populations animales et végétales se trouve mise en danger. Dans les régions centrale et sud du Chili, ce sont établies et continuent à s’installer de larges monocultures d’arbres à croissance rapide. Les forêts tempérées qui se trouvent là abritent le plus haut indice de biodiversité et d’endémisme du pays. L’actuelle superficie plantée au Chili est estimée à environ 2 500 000 hectares desquels 80% sont des pins Monterrey (Pins Radiata). Une étude réalisée par l’agence d’Etat CONAF en 1997 avait déjà démontré que le taux annuel de déforestation en 1985 et 1994 était de 36 700 hectares et que presque 40% de cette superficie avait été détruit pour être planté. »

A Collipulli, la mission s’est réunie avec cinq responsables de cette communauté, laquelle est également en conflit avec des compagnies forestières. La destruction de l’environnement est ici flagrante et l’on constate également l’absence totale de contrôle sur les activités des entreprises qui violent la réglementation en toute impunité. Par exemple, les plantations de sapins et d’eucalyptus doivent s’arrêter à 70 mètres des rives du fleuve. Ces limites ne sont pas respectées et les arbres sont plantés jusqu’au fleuve. D’autre part les accès utilisés par les mapuches pour rejoindre leurs terres se trouvent fermés et interdits à ceux qui n’appartiennent pas aux compagnies forestières. Il leur faut entreprendre de grandes déviations pour arriver jusqu’à leurs terrains, lesquels se trouvent aujourd’hui isolés en raison des acquisitions de ces entreprises.

Appauvrissement et acculturation

Comme nous l’avons déjà vu, la situation d’appauvrissement des conditions de vie des Mapuches va de pair avec le processus d’expropriation territoriale et à leur confinement dans des réductions. Ceci est un fait de grande importance pour la compréhension du conflit forestier. Ainsi, depuis 1976, on remarque une diminution générale de l’économie agraire des mapuches. Actuellement dans les communautés indigènes mapuches une économie agraire de subsistance se maintient (Bengoa 2001). Cette activité de subsistance a perdu toute identité productive au niveau régional ou national. Ainsi, diverses études, analysées et proposées par J. Bengoa, incluant le recensement de la population paysanne en 1997, montrent la croissante marginalité des économies paysannes. « Le processus de plantation est en train d’expulser les indigènes et provoque des problèmes écologiques sérieux car il absorbe une grande partie de l’eau. Tous les chemins d’accès dont disposaient auparavant les communautés disparaissent. Tout cela crée une situation d’appauvrissement très grave et donne trop peu d’emploi aux mapuches. Une étude de l’organisation internationale du travail (O.I.T.) montre que plus le pourcentage de plantations est élevé plus grande est la pauvreté des communes où elles sont implantées. De plus on observe une diminution du taux de scolarisation et de la population. C’est une activité économique qui ne bénéficie pas socialement aux gens qui y habitent; mais au contraire les appauvrit et les exclut chaque fois plus, car ceux qui y travaillent viennent d’ailleurs »64.

En effet, les communautés mapuches ne tirent pas profit des activités du bois et deviennent toujours plus pauvresce qui a une influence brutale sur leur façon de vivre.

« La pauvreté de subsistance a plusieurs conséquences sociales, politiques et culturelles. En premier lieu, cela conduit à renfermer la société indigène sur elle-même. Les liens non-monétaires entre les familles se renforcent, la cohésion aussi, ce qui rend possible une extension des idéologies liées à l’émergence ethnique mentionnée précédemment. La relation à la société globale est très faible, notamment dans le cas d’un Etat central. Tout cela conduit à renforcer de manière quasi-exclusive les liens de clientélisme local fondés sur la capacité de reproduction. Les relations clientélistes des communautés avec les autorités locales vont de pair avec l’émergence indigène et ne sont pas nécessairement contradictoires. Cela conduit à la possibilité de voter pour les chefs politiques locaux avec lesquels ils entretiennent des liens de dépendance face à la subsistance et à la fois être d’accord avec des actions revendicatives, et même violentes, que mettent en place les organisations et les communautés émergentes. »65

63Bulletin du WRM. Nietzsche°45, avril 2001

64Dans Raúl Blanchet, la double raison de la revendication mapuche. El Siglo – 25 Mars 1999

http://www.fortunecity.es/felices/lahabana/260/articulo2.htm

Emilio Guerra soutient que les entreprises forestières ont acquis légalement les terres en 1970, et que la raison du conflit est due à « la pauvreté des Mapuches face à la richesse des autres ». Et il ajoute « c’est sûr, les entreprises forestières n’ont pas de sympathie particulière pour les paysans. Le personnel, la plupart du temps, est étranger et n’entretient pas de relations avec les autochtones. Il n’y a pas d’intégration ». Pour lui, il faut instaurer un dialogue avec les Mapuches et supprimer la pauvreté par des mesures sociales. « Il revient aux autorités régionales de trouver une solution au problème mapuche. La solution n’est pas dans l’emploi des forces armées et des milices privées. Les mapuches n’ont pas d’autre solution que l’assimilation. »

Mais selon les Mapuches « C’est un attentat culturel et contre les croyances que des concessions aient été accordées à des particuliers, ces terrains devraient être libérés ; seul est valable YENCO, l’esprit de l’eau66. Les peuples mapuches tirent la base de leur subsistance de la récolte mais la flore et la faune qui étaient à la base de leur alimentation et qui généraient aussi du travail ont disparus. Du point de vue médical, la vie indigène est sévèrement affectée par la dégradation écologique : à cause de cela, ils ont perdu les médecines traditionnelles pour se défendre et soigner les membres des communautés mapuches. Les femmes n’ont plus les remèdes nécessaires à une « grossesse mapuche » : ils ne peuvent plus réaliser les rites et les méthodes thérapeutiques, ce qui les promet à «une mort physique et spirituelle ». On doit réaliser une récupération des lieux sacrés des mapuches, où traditionnellement les machis exerçaient leur sagesse. »

Une autre conception du développement

De fait, les mapuches ont une autre vision du développement différente de celle des entreprises forestières et de l’Etat, vision qui représente un aspect culturel décisif dans la vie des peuples indigènes.

« La conception du développement imposée par la logique occidentale se structure principalement autour des aspects économiques et considère le territoire mapuche seulement en termes de richesses matérielles pour la production et l’accumulation. La majeure partie des programmes conçus par l’Etat sont soumis à cette perspective productiviste d’exploitation des richesses et ne prennent pas en compte notre conception du monde. Nous ne concevons pas le développement comme un projet de promotion individuelle, dissocié de la communauté. L’atomisation du territoire en comités et petites organisations qui travaillent pour «ce » développement, a nuit à notre organisation traditionnelle, en la niant et en la divisant, et ouvre le chemin à une déstructuration de la forme de vie mapuche. »

« Pour la culture mapuche, le développement et le territoire répondent à une autre logique : celle exposée dans l’Ad Mapu. A travers lui, nous sommes liés à la nature et c’est à travers elle que nous reconnaissons notre identité. L’Ad Mapu représente notre forme de vie et celle de nos ancêtres. Il constitue les fondements à partir desquels nous voulons construire notre bien être dans nos territoires, pour le futur, pour nos enfants. Mais ces conceptions et ces idées ne sont pas prises en compte par les institutions qui appliquent leurs solutions à nos communautés. Par exemple les mégas projets qui nous obligent à quitter non seulement nos champs, nos rivières et nos mers mais aussi nos idées et nos formes de vie…

Les autorités chiliennes doivent respecter notre pensée et notre structure socio-politique et écouter nos autorités traditionnelles. Nous aspirons à rendre concrète une vision mapuche du développement qui s’exprime à travers des actions mises en place par les organisations représentatives des identités territoriales. Ces actions organisées et participatives sont en harmonie avec notre environnement et représentent les demandes réelles de notre peuple, qui reflètent les préoccupations de nos familles et sont en relation avec l’ensemble de la société chilienne. Les mapuches ne sont pas violents mais ils ont la dignité d’un Peuple. »67

65Bengoa José, Política pública y comunidades mapuches, del indigenismo a la autogestión.

66Mission Fidh, Annotations Mission Fidh, document de travail, archive de Word

Durant leurs visites aux dirigeants et communautés mapuches au Chili, les membres de la mission de la FIDH ont pu constater que la signification culturelle du territoire est constante. Selon les témoignages recueillis, à travers la cosmovision et les modèles cognitifs des différentes identités mapuches chiliennes, la détermination majeure d’un territoire comme base de la civilisation indigène est conservée. C’est à partir d’elle que l’homme se détermine, en elle que les dimensions cosmologiques se structurent. Le territoire est à la fois l’espace d’intégration social et de réalisation rituelle, le foyer commun de la culture, de la survie et de la médecine.

Pour conclure, la base de la vie des Mapuches est le territoire, fondement de leur culture et de leurs formes de reproduction sociale et matérielle. En conséquence, les communautés structurent et nomment actuellement leurs organisations selon les diverses identités territoriales, ce qui souligne l’importance de ces différences dans son histoire.

Pour la mission de la FIDH, les conflits entre les mapuches et les entreprises forestières ont pour origine la demande des terres ancestrales des Mapuches. Le manque de terres, la destruction culturelle et environnementale des communautés mapuches provoque une mobilisation contre les entreprises forestières afin de récupérer les terres usurpées. L’Etat, au lieu de chercher une solution viable à ce conflit, réprime toute mobilisation mapuche par le recours aux tribunaux et à la force publique.

67Notre vision du développement territorial, réflexion collective des organisations identités lafkenche, calafquenche, nangche, wenteche, huilio, makewe et pewenche, juillet 2002.

IV. PROJET RALCO : LA RESISTANCE D’UN PEUPLE

En 1997, la FIDH mis en place une première mission internationale d’enquête ayant pour objet l’étude des communautés Mapuche-Pehuenches touchées par la construction du barrage hydraulique de RALCO. Immédiatement, ENDESA-España s’empressa d’obtenir du gouvernement chilien les autorisations environnementales nécessaires comme l’autorisation de la Corporation Nationale du développement indigène de la CONADI, afin de régulariser l’appropriation des terres Mapuches dans un premier temps puis l’implantation de la concession électrique dans un deuxième temps. Préoccupée par les conséquences que le projet Ralco pourrait engendrer sur le peuple Pehuenche-Mapuche, la FIDH a alors décidé d’effectuer une nouvelle visite de la région du Bio Bio. Cette nouvelle mission avait pour principal objectif d’enquêter sur l’évolution du projet de construction Ralco et de déterminer son impact sur les droits fondamentaux des communautés mapuche-pehuenches.

Le chapitre suivant vise à mettre en lumière de manière synthétique et actualisée la majorité des évènements et actions judiciaires ayant eu lieu depuis octobre 2002.

Dans un premier temps, il est essentiel de souligner que le projet Ralco affecte de manière directe les membres des communautés mapuches-pehuenche de Ralco Lepoy et Quepuca Ralco. Selon les prévisions du projet de construction hydraulique, toutes les terres de Ralco Lepoy et une partie des terres de Quepuca Ralco devraient être submergées par le lac de retenue nécessaire au fonctionnement du barrage. Avant l’implantation du projet Ralco, on dénombrait au total 1 208 personnes réparties au sein de communautés diverses. En 1996, Ralco Lepoy se composait de 162 familles occupant 5 892 hectares réparties en 237 lots. A l’heure actuelle il ne reste désormais plus que 8 familles, soit une trentaine de personnes ayant refusé de se plier à l’exil.

Ainsi avant l’implantation du projet Ralco, la communauté Quepuca Ralco dénombrant alors 88 familles, occupait une superficie de 11 710 hectares divisée en 137 parcelles individuelles. Aujourd’hui tous les membres de cette communauté ont été déplacés. De plus on comptabilise environ 600 personnes dont les habitations ne devraient pas être submergées par le projet mais qui résident néanmoins à proximité de la zone submergée par le bassin de rétention des eaux. Cette population est considérée comme « indirectement affectée » même si ce projet modifiera de manière directe leurs conditions de vie.

Il est également important d’ajouter que les populations indigènes de toute la région mapuche-pehuenche du Haut Biobio, incarnant une unité culturelle nourrie par des liens de fraternité et de parenté avec les communauté de Ralco Leroy et Quepuca Ralco ( comprenant les communautés de Callaqui, Pitril, Caunicu, Malla Malla et Trapa Trapa), seraient non seulement physiquement préjudiciées par ces inondations mais aussi culturellement affectées pas la submersion de cimetières et de lieux de cultes.

De plus pour respecter leur mode de vie montagnard, il est essentiel pour les Mapuche de disposer d’un vaste ensemble de terres exploitables de manière appropriée selon les saisons68. Les terres en altitude sont habitées pendant une partie de l’année, étant ainsi surnommées les « estivales ». Les terres situées en basse altitude ou comme l’indique leur nom les « hivernales » sont quant à elle l’habitat pehuenche durant l’hiver. Ainsi les lieux immuables où se développent à la fois l’agriculture et l’élevage traditionnel concernent les terrains à basse altitude longeant le fleuve Bio Bio. Ces terrains viennent remplacer les terres situées à des altitudes plus élevées recouvertes de neige pendant la saison hivernale. Lors de la période estivale, la récolte des fruits de l’arbre parasol, fruit de l’Auracano nommé pinoneo, fait perdurer une tradition fondamentale de la culture mapuche depuis des générations.

La vie en tant que peuple Mapuche-Peheunches, leurs ressources économiques et productives, leur spiritualité, leur relation avec le monde prennent racine au cœur du territoire andin au sein duquel de nombreuses générations ont ainsi vécu au cours des siècles. Cette nécessité de préserver cette coexistence harmonieuse avec la nature et les saisons climatiques doit être pris en considération par le projet de construction tout comme ses conséquences pour l’ensemble des communautés affectées.

La relation entre le Mapuche et la terre est un lien charnel, fondamental au développement de sa culture, de sa spiritualité, de sa survie matérielle garantissant la pérennité des traditions politiques, judiciaires et sociales. La terre est le territoire ou l’habitat fondamental au sein duquel s’épanouit la vie des communautés appartenant à l’ethnie pehuenche. Dans l’imaginaire collectif indigène, la terre est primordiale et essentielle. Elle possède ainsi toutes les dimensions et significations cosmiques, berceau de la vie originelle et de l’identité des peuples indigènes. Pour les pehuenches, CHAO NGENECHEN, le dieu créateur, a créé la terre qui fut donné aux Mapuches pour garantir leurs vies terrestres et pour leur fournir un lieu de repos après leur mort.

68Cette temporalité séexprime dans les mouvements migratoires à l’intérieur du bassin du fleuve Bio Bío pendant l’été et l’hiver, pour continuer l’élevage et la collecte des fruits de l’Araucaria (NAMUNCURA :1999).

1. Quelques éléments concernant la centrale hydroélectrique Ralco

a) Le méga-projet hydraulique de l’entreprise ENDESA : éléments techniques et financiers

 

Dès les années soixante-dix, l’Entreprise Nationale d’Electricité S.A ENDESA lança l’idée de construction d’un ensemble de centrales hydroélectriques au bord du fleuve BioBío situé au centre sud du Chili. Entreprise à l’origine contrôlée par l’Etat, ENDESA fut la dernière société à être privatisée sous le régime dictatorial du général Augusto Pinochet. Au milieu de l’année 1999, ENDESA España devint l’actionnaire majoritaire, faisant d’ENDESA l’une des entreprises privées les plus puissantes du Chili à l’heure actuelle.

L’emplacement du projet hydraulique géré par ENDESA se situe dans la partie supérieure du fleuve Biobio, au sein de la région précédent la cordillère des Andes. Ce méga-projet prévoit l’immersion de 22 000 hectares de terres et la construction de sept centrales impliquant autant de lacs de retenue nécessaires à la production hydroélectrique.

La centrale hydroélectrique Pangue a été la première étape du projet de construction. Achevée, cette centrale fut inaugurée en avril 1997. Pangue est une centrale capable de produire 450MW avec un bassin de 113 mètres de hauteur et de 450 mètres de large. Son bassin de rétention renferme un volume de 175 millions de mètres cubes d’eau et les inondations consécutives à sa réalisation ont englouti plus de 500 hectares de terres. Pour financer ce chantier, ENDESA a obtenu un prêt de la Banque Mondiale, accordé par le biais de la Coopération Financière Internationale ( IFC) .

L’étape suivante du projet a commencé avec la construction du barrage de Ralco, localisé dans la zone du Haut Bio Bío, à environ 120 km au Sud-Est de la ville de Los Angeles, à la limite de la VIIè région du Bio Bío et la IXè région de l’Araucanie.

Le projet Ralco prévoit la construction d’un bassin de rétention de 1 222 millions de mètres cubes d’eau grâce à la conquête de 3 467 hectares, et d’une centrale productrice d’énergie située à l’embouchure du fleuve Ralco. Le mur du bassin, en béton armé, aura 370 mètres de large et une hauteur de 155 mètres. Les eaux du fleuve Biobio, de son affluent principal le fleuve Lomín et d’autres affluents mineurs s’y jetteront. Ces eaux seront acheminées par un tunnel de 7 kilomètres de large jusqu’à la machinerie où seront installées trois unités de production d’électricité.

La centrale d’électricité Ralco permettra de générer une production électrique moyenne de 3 380 GWH par an. L’investissement pour ce projet devrait atteindre environ 474 millions de dollars pour la centrale auxquels viennent s’ajouter 12 millions de dollars nécessaires à la réalisation du raccordement avec le système électrique central du pays.

Pour une meilleure analyse des conséquences de cette deuxième phase du méga projet, il convient de dresser un bilan et une évaluation des impacts de la première étape de celui-ci : l’installation de la centrale Pangue.

b) La centrale Pangue, la fondation Pehuen et les rapports Downing- Hair

Quand la construction de la centrale hydroélectrique Pangue a été lancée, le Chili ne possédait ni loi Indigène ni législation de protection de l’environnement. Afin de minorer les impacts socio-environnementaux d’un tel projet sur la population indigène la Banque Mondiale69 et sa filiale la IFC (Société Financière Internationale) en accord avec ses normes environnementales ont alors soutenu la création de la fondation Pehuen par l’entreprise Pangue SA. Cette fondation a pour mission de mettre en place un mécanisme financier et institutionnel de collecte de fonds afin de contre balancer les effets négatifs sur le long terme de l’existence de la centrale Pangue sur l’écosystème. Selon l’IFC, la centrale Pangue est considérée comme un projet de catégorie A, c’est-à-dire à haut risque environnemental compte tenu des effets dévastateurs que cette construction aurait sur l’écosystème du fleuve Biobio.

69Dans la « Directriz operativa concerniente a los Pueblos Indígenas », publiée le 17 septembre 1991, pour orienter le personnel opérationnel de la Banque Mondiale concernant la définition de Peuples Indigènes.

– 3. Les termes « peuples indigènes « , « minorités ethniques », « groupes tribaux » et « tribus enregistrées » décrit des groupes sociaux avec une identité sociale et culturelle différente de la société dominante, qui les rend vulnérable et les place en désavantage dans le processus de développement. Pour les conclusions de cette Directriz, le terme de « peuples indigènes » sera utilisé pour se référer à ces groupes.

– 5. En raison des contextes variés et changeants dans lesquels les peuples indigènes se trouvent, aucune définition ne pourrait englober cette diversité. En général, les peuples indigènes font partie des segments les pauvres de la population. Ils occupent des activités économiques qui englobent l’agriculture de subsistance, dans ou près des forêts, des emplois salariés ou des activités à petite échelle orientés vers le marché. Les peuples indigènes peuvent être identifiés dans des zones géographiques déterminées par la présence , à divers niveaux, des caractéristiques suivantes :

a. lien important au territoire ancestral et aux ressources naturelles de ces zones.
b. Identification propre et identification par les autres comme des membres d’un groupe culturel distinct.
c. Une langue indigène, généralement différente de la langue nationale.
d. Présence d’institutions sociales et politiques consensuelles.
e. Production principalement orientée vers la subsistance.

Il faut aussi noter les matrices qui contiennent les objectifs que doivent garder les projets quand il s’agit d’avoir un impact sur les populations indigènes, en référence à la participation, consultation et plans de mitigation ; suffisants.

– 8. La politique de la Banque est que la stratégie pour traiter les affaires indigènes doit se fonder sur la participation informée des peuples indigènes. Ainsi, l’identification des préférences locales, à travers la consultation directe, l’intégration de la connaissance indigène dans les projets et le recours à des spécialistes dès l’étape initiale sont des activités centrales pour tout projet qui inclut des populations indigènes et leurs droits sur les ressources naturelles et économiques.

– 9. Il y a des cas, particulièrement quand il s’agit des groupes les plus isolés, dans lesquels les impacts néfastes seront inévitables et pour lesquels il n’y aura pas de plans adaptés de mitigation. Dans ces situations, la Banque n’évaluera pas de projet tant que le prestataire n’offrira pas de plans adaptés et que ces derniers ne soient révisés par la Banque. Dans les autres cas, les peuples indigènes devraient vouloir être, ou pourraient être, intégrés dans le processus de développement. En bref, le prestataire, à travers d’une large gamme d’actions positives, devra assurer que les peuples indigènes bénéficient des investissements pour le développement.

La Fondation Pehuén a été soumis à un audit interne réalisé par l’anthropologue Théodore Downing70 qui donna lieu à la rédaction d’un rapport présenté le 6 mai 1996. Cette évaluation répondait à une demande initiée par la Banque Mondiale qui avait reçu de nombreuses interrogations concernant les communautés pehuenches touchées par le projet Pangue. Le but de cet audit d’évaluation était d’analyser l’activité de la fondation dans un premier temps puis de mesurer l’efficacité de son action de protection dans un deuxième temps. Ce rapport a mis en évidence les éléments suivants :

a) la fondation a vu le jour sans prendre en compte la participation des communautés affectées par les conséquences du barrage. Il n’a même pas été réalisé de projet d’étude préalable sur ce sujet.
a) Les actions de la Fondation ne respectent pas les accords passés entre l’entreprise Pangue et l’IFC. Ces accords déterminent l’étendue de l’action de cette fondation dont les efforts devraient se concentrer sur la réduction des conséquences dévastatrices de ce projet sur l’environnement afin de privilégier un développement durable, une conservation et un renforcement de l’identité culturelle pehuenche. Son action a été essentiellement caractérisée par l’assistance immédiate aux populations sans vision globale sur le long terme.
b) Concernant les données mesurables et quantifiables, la lutte contre la pauvreté qui menace les communautés de Callaqui, Pitril et Quepuca Ralco s’est soldée par un échec puisque un tiers de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté.
c) Concernant le développement des économies. D’une part, la valeur culturelle et la relation privilégiée que le peuple Pehuenche connaît avec son environnement n’ont pas été prises en compte. D’autre part, les pertes subies par l’économie indigène sont sans commune mesure avec la valeur réelle du préjudice subi. Enfin les conséquences immédiates de l’installation de cette centrale provoquerait sur la vie Pehuenche n’ont pas non plus été étudiées.
d) La conclusion générale du rapport stipule que ces communautés dépendront dans un futur proche essentiellement de l’aide de l’Etat afin de garantir leur développement. De plus il est fort probable, compte tenu des compensations financières négligeables de la fondation, que les pehuenches sacrifient sur l’autel de la production hydroélectrique leur culture, leurs ressources et leur économie.
e) Le lien fondamental avec le projet hydroélectrique Ralco et la fondation sont les activités en faveur de la communauté Ralco Lepoy. Même si le projet de Pangue stipulait son indépendance et son désengagement concernant toute construction future, cette fondation visant néanmoins à limiter l’impact du méga projet, constitue aussi un moyen de s’introduire dans les communautés qui seront affectées après par le projet de centrale hydroélectrique Ralco.

70Connu comme : « A Participatory Interim Evaluation of the Pehuen Foundation », Evaluation interne de la Fondation Pehuén 5NAMUNCURA : 1999).

Dans ces matrices, ils existent des mentions qui cherchent à sauvegarder les droits des peuples indigènes, leurs terres et territoires, l’évaluation d’impact néfastes, et qui s’avèrent pertinentes dans les différents programmes et projets, notamment hydroélectriques. De plus, il existe deux directives opérationnelles sur les relocalisations involontaires. L’ensemble de ces documents montrent l’adhésion de l’organisme à certains préceptes internationaux de protection et surtout de reconnaissance de l’existence diversifiée dans le patrimoine culturel des peuples indigènes. Dans le cas chilien, toutes ces normes doivent et devront être pris en considération dans la construction de Pangue, mais aussi dans les conséquences que ce type de développement peut avoir sur le peuple pehuenche-mapuche.

Cet antécédent des activités de préservation du milieu social et environnemental de la Fondation est en continuité avec les nombreuses réactions à la lecture du rapport Downing. Des pans entiers de la société chilienne ont ainsi demandé à la Banque Mondiale la création d’une mission d’observation indépendante visant à déterminer les modalités de construction de ce projet. Selon l’observation de ces groupes de pression, ce projet ne respecte pas les standards de qualité exigés par la même Banque Mondiale concernant la politique environnementale et sociale à mener face aux peuples indigènes, aux relocalisations involontaires, à la gestion du patrimoine culturel, à la protection et la gestion des terres vierges et la supervision des projets.

Le panel d’inspection de la Banque Mondiale a avoué manquer de competences permettant une action à l’encontre du financier effectif de ce projet, la IFC. Néanmoins, James D. Wolfensohn, président de la Banque Mondiale promis d’effectuer une révision interne et impartiale du prêt accordé à Pangue. Ainsi, en 1996, la Banque Mondiale a engagé le consultant en écologie Jay Hair, président émérite de la fédération nationale de la vie forestière, pour évaluer le respect des engagements de Endesa concernant l’accord signé avec l’IFC.

Le rapport Hair diffusé en avril 1997 révèle que plus de 80% des directives de l’IFC visant à une protection sociale et environnementale ne sont pas respectées. Ce rapport a été présenté au comité directeur de l’IFC et dans une version épurée par la censure. En effet, environ 1/3 du rapport fut ainsi occulté, notamment les passages concernant les conséquences sociales d’un tel projet et les possibles violations des droits de l’homme.

Il convient de souligner que les chapitres supprimés mettaient en lumière les menaces de déplacement forcé des membres des communautés Pehuenches, décrivaient les dommages environnementaux engendrés sur une large échelle et relataient les pratiques non respectueuses de la Fondation Pehuén envers les traditions culturelles des Pehuenches.

Le retard de la diffusion des rapport Downing et Hair tend à s’expliquer par l’ampleur du préjudice que pourrait subir les investisseurs du projet Pangue.

Simultanément à ce deuxième rapport, une étude réalisée par la Commission nationale pour l’environnement (CONAMA) analysant l’impact environnemental du projet Pangue reprenant en des termes similaires les conclusions du rapport Hair parut.

Cependant malgré l’ensemble des ces rapports, la centrale Pangue fut inaugurée et mise en service en novembre 1996.

Il convient de signaler qu’une autre explication peut également éclairer les entraves de la publication du rapport Downing et la censure du rapport Hair.

En 1997, la direction de la CONAMA a recommandé de repousser la seconde étape du projet du barrage Ralco tandis que la Corporation nationale de développement indigène (CONADI) a souligné l’illégalité de l’ensemble du projet rappelant la loi indigène 19-253.

En avril 1998, le président de la Banque Mondiale, James D. Wolfensohn a reconnu la mauvaise évaluation du dossier de la centrale hydroélectrique de Pangue pendant une conférence de presse lors d’une visite au Chili. Il a admis que les minorités ethniques « ont été spoliées de leurs terres. De plus, il a précisé que si d’aventure un tel projet se représentait à la Banque Mondiale, les choses seraient menées de manière différente. Il a conclut en affirmant qu’une « erreur telle que celle-ci ne devrait plus jamais se produire ».

En réponse à l’ensemble des irrégularités de ce projet, la IFC a refusé le déblocage de nouveaux prêts destinés à ENDESA. Cette ligne de conduite fut également adoptée par les autres agences de développement et les gouvernements respectifs de Suisse et de Norvège (BITS et NORA)

Une autre conséquence du rapport Downing a été le dépôt d’une plainte initiée par le même Downing pour violation des droits de l’homme à l’Association Américaine d’Anthropologie. Les faits et fondements de cette demande sont : le manque de reconnaissance de la population indigène menacée, la présence de négociation secrète concernant le futur de ces population et l’existence de programmes de relocalisation bafouant ses droits et ses garanties. Il a dénoncé la Fondation Pehuen et son rôle d’intermédiaire dans la construction de Pangue et ce qui était prévu pour la Centrale Ralco. Comme il n’a pas été reconnu que chacune faisait partie d’un projet d’ensemble, aucune relation d’impact accumulé n’a pu être mise en avant. De plus, en n’informant pas la population indigène des impactes négatifs dont elle pouvait pâtir, les directives de la Banque Mondiale n’ont pas été respectées. Finalement, le rapport accusait la direction de la Fondation Pehuen d’avoir omis de transmettre des informations complètes et véridiques aux représentants indigènes. L’association a réalisé une analyse de la plainte de Downing et a adopté des recommandations au soutien d’une correction et d’une réparation, sur la base du rapport détaillé et analytique du projet Pangue-Ralco.

Il paraît nécessaire de détailler certains effets que le méga-projet du fleuve Biobío aurait provoqué, dès sa mise en place, sur la population voisine. Dans le cas de la centrale Pangue, après l’ouverture des vannes de celle-ci, des inondations supérieures à celles prévues ont submergé les populations riveraines.

Il se trouve que le groupe Pehuenches, avec les habitants de Hualqui et les pêcheurs artisanaux du golfe de Arauco, ont porté plainte devant l’Ombudsman de la Banque Mondiale, réclamant:

« …que le projet Ralco soit arrêté, et que les études promises il y a dix ans sur le maniement du débit des eaux sous-terraines et les impacts du barrage soient rendues publiques. Des compensations sont également demandées pour les personnes innondées à Hualqui, ainsi qu’un plan d’urgence pour que l’ouverture des vannes soit connue d’avance. Les possibles conséquences d’un important tremblement de terre sur Pangue doivent être connues, et une enquête sur les possibles dommages structurels sur la centrale doit être menée, entre autres choses71 ».

D’autre part, le Directeur de l’ONEMI (Oficina Nacional de Emergencia), en tant qu’autorité étatique, a soulevé la possible responsabilité de ENDESA dans les inondations qui ont dévasté la VIIIè région du Biobio. Le directeur de l’ONEMI, Alberto Maturana, s’est plongé dans une polémique en rendant respectivement responsable les centrales hydroliques de Colbun et Pangue des crues des fleuves Maule et Biobio, qui ont provoquées des inondations dans les vastes secteurs de la VIIè et de la VIIIè régions72.

En accord avec le rapport de la première mission de la FIDH sur le méga-projet Biobio, il semble normal que, vu la présence de nombreux crédits de la Banque Mondiale au Chili, (et en particulier, dans le cas de sa première phase, ledit projet ayant été monté avec l’aide des crédits de la IFC, organisme de la BM), les normes à l’appui desquelles cette entité multilatérale cherche la protection des peuples indigènes, engagés dans des projets qui bénéficient de son financement, soient respectées. Ainsi, prenant en compte les demandes des populations pehuenches et celles des zones voisines ont porté devant le Ombudsman de la Banque Mondiale, il est nécessaire de considérer le méga-projet hydrolique du fleuve Biobio au Chili dans sa totalité.

71« El Mercurio », 31 août

72« El Mercurio », 30 août

2. Irrégularités de forme et de fond de la concession Ralco

a) Autorisation écologique : l’accord entre la Endesa et la Conama

 

Le premier septembre 1995, la Endesa et la Conama73 signent une « Acte Général d’accord » pour l’approbation de l’étude d’impact environnemental pour la construction du projet hydroélectrique de Ralco.

Cette étude réalisée par l’entreprise Endesa S.A, est présentée le 29 mars 1996. Elle est confiée à l’analyse de 22 services publics chargés d’évaluer l’impact du projet. La majeure partie de ces organismes publics, ainsi que plusieurs consultants et groupes de citoyens s’opposent au projet de construction du barrage hydroélectrique de RALCO.

Il est de première importance pour la mission d’observation de la FIDH de souligner que lors de ses deux visites, la Corporation National de développement indigène (CONADI) s’est opposée à cette étude. Elle juge que la réalisation du dit projet entraînerai l’inévitable déstructuration de la culture Pehuenche et son extinction en tant que peuple en moins d’une décennie, impact qui est inacceptable et que l’on ne peut « qualifier autrement que comme un ethnocide ».

Le 23 juillet 1996, le comité de supervision de la CONAMA, coordonnée par sa directrice exécutive, conseille dans son « rapport technique de qualification du projet de la centrale hydroélectrique de Ralco » de rejeter le projet. Ce rapport indique qu’en l’absence de renseignements fondamentaux concernant l’impact de la construction de la centrale de Ralco, le comité ne peut même pas formuler de demandes d’éclaircissement, d’approfondissements ou la rectification du projet, possibilités prévues par la loi de Base de l’Environnement.

Le 23 août 1996, la direction exécutive de la CONAMA permet pourtant à Endesa d’ajouter un item a leur étude d’impact environnemental74. Malgré le refus de la CONADI, cette annexe ou appendice est présenté le 7 février 1997. La CONAMA informe alors les services publics chargés de l’approbation environnementale du projet, d’une résolution favorable à l’étude incluant ces appendices, au travers de la « Qualification Environnemental du Projet de la Centrale Hydroélectrique de Ralco » ou Résolution Exenta n°10, 1997. On doit signaler que le directeur national de la CONADI, Mauricio Huenchulaf Cayuqueo, qui a dénoncé la non-conformité du projet Ralco avec les normes et les droits accordés par la Loi Indigène, s’est vu, en raison de cette objection, démis de ses fonctions.

Il est cependant stipulé dans cette résolution que les demandes de permission de déplacement des populations indigènes et de leur relocalisation soient soumises à l’approbation de la CONADI. Endesa a présenté sur ce point une réclamation devant la CONAMA, le 11 juillet 1997. Le 23 septembre 1997, le conseil de direction de la CONAMA, composé de treize ministres d’état, décide dans sa majorité de ratifier la résolution de la CONAMA, en insistant sur la nécessité que la CONADI et chacun des intéressés soient consultés sur les thèmes des déplacements et des relocalisations des populations.

En ce qui concerne l’approbation environnementale de la CONAMA qu’ENDESA a obtenue entre 1996 et 1997, la mission de la FIDH dénonce une série d’irrégularités des procédures légales et usuelles. La mission relève en effet des irrégularités de forme et de fond dans la concession de l’autorisation environnementale. Les normes légales sont le fondement de la coexistence sociale, et l’Etat est le garant fondamental de son respect. Dans le cas présent, en considérant que la construction de Ralco aura des conséquences environnementales graves et plus encore sur la vie future d’un peuple, nous considérons inadmissible qu’aient été commises des irrégularités dans l’octroi de cette autorisation.

73La Comisión Nacional de Medio Ambiente CONAMA a été créée avec la promulgation, le 9 mars 1994, de la loi 19.300 sur l’environnement. Entité publique définissant la politique environnemental de l’Etat, la CONAMA dépend du secrétariat général de la présidence au rang de ministère.

74Autorisation concédée par décret du Secrétariat Général de la Présidence en accord à l’article La politique de régulation de l’environnement. Des défis institutionaux, de Vivianne Blanlot, à cette époque directrice exécutive de la Conama, dans le livre de Oscar Muñoz Goma et autres : L’Etat et le secteur privé. Construction d’une nouvelle économie, FLACSO, Santiago du Chili, LOM, ed. 2000. Mme Blanlot occupe aujourd’hui le secrétariat exécutif de la commission nationale d’énergie et affirme relativement aux récentes inondations que : « c’est injuste de culpabiliser le barrage, car c’est la nature qui dans ce cas a fait que le débit est passé brusquement de 400 m 3 par seconde en temps normal à 2 4OO m3 », 27 août 2002, El Mostrador

b) Les permutations de terres Pehuenches et les autorisations de la CONADI

A la fin de l’année 1997, l’entreprise ENDESA a présenté devant la commission nationale du développement indigène (CONADI)75 des demandes de transferts de terres signées par les familles pehuenches résidant dans le Haut Bio Bio. En accord avec la loi indigène 19.253, la Conadi est le seul organisme d’état chargé de se prononcer sur le destin des terres indigènes, comme dans le cas des permutations, seule forme juridique de transmission de terres permise par la loi.

Suite à la demande d’ENDESA, la CONADI entreprend un examen minutieux des documents d’intentions d’échange de terres présentées par ENDESA, surtout en ce qui concerne la libre volonté des pehuenches sollicités, afin de protéger leurs intérêts, ce qui est la principale mission de la Conadi (Namuncura, 1999). La CONADI réalise, entre le 13 novembre 1997 et le 29 mai 1998, devant le bureau notarié Selim Parra Fuentealba de la ville de Santa Barbara, 64 entretiens et 11 audiences publiques. Tous ces entretiens ont été enregistrés et filmés par le personnel de la Conadi.

Dans le rapport réalisé par la CONADI, il est mentionné que « la construction du barrage de Ralco implique un avant et un après qui détruit complètement et irreversiblement la condition géophysique et biotique de toute la vallée du Bio Bio … Cette rupture implique la fracture du fragile écosystème qui soutient l’existence ancestrale du peuple Pehuenche lequel transhume en hiver et en été. Ce projet de déplacement signifie une nécessaire réaclimatation qui provoquera un changement de système de vie, d’économie de subsistance, des coutumes, des traditions et de la cosmovision. De plus, cette relocalisation, ce déplacement ou éradication ne permet aucune option de continuité identitaire et culturelle. Car l’association terre-homme (ecosystème-homme) est le lien qui permet l’existence du peuple Pehuenche… En conséquence, toute mesure de compensation sera insuffisante comparé à la perte d’une culture aborigène; les dommages sont incalculables quand est en jeu une partie du patrimoine de l’humanité. » (CONADI, 1er rapport, 1997).

Dans cet extrait, ainsi que dans diverses études, analyses et enquêtes réalisées par la CONADI, en relation avec le projet de Ralco, sont révélés les impacts qu’aurait la construction de la centrale sur le projet civilisateur Mapuche-Pehuenche.

De même, dans un rapport rédigé par la Division Sociale du Ministère du développement et de la Planification Nationale (MIDEPLAN), rapport d’octobre 1998 dénommé « Rapport d’impact culturel pour l’analyse des demandes de déplacements des communautés Pehuenches de Quepuca-Ralco et Ralco-Lepoy », est mentionnée la liste des conséquences probables de la construction de la centrale :

« 1. Fragmentation familiale des parentés ou lignages. Tendance à la dispersion familiale

2. Perte de la territorialité ancestrale. Perte de la quotidienneté spatiale (le milieu propre et la couleur locale) et des espaces et sites de cérémonies.
3.
3. Tendance à la « paysannerie ». Incorporation à un mode de vie non-pehuenche.
4. 4. Tendance à l’accélération des processus d’acculturation produit par la vulnérabilité des mécanismes de défense culturelle (assimilation, refus, intégration et hybridation culturelles)76. Il faut signaler que c’est la vitesse et la radicalité de ce changement qui en fait un changement négatif.

75Cette institution a été créée sous décret suite à l’adoption à l’unanimité, le 5 octobre 1993, de la loi n° 19253 au Congres de la République. En application à cette loi, se constitue et est installée la Conadi, service publique décentralisé, dotée de personnalités juridiques et d’un patrimoine propre. Elle dépend hiérarchiquement du ministère de la planification et de la coopération. Ce conseil est constitué de 17 membres dont huit représentants des autorités ministérielles ou désignés par le président et dont les huit autres membres représentent les communautés indiennes. Ces derniers ont été élus à travers une procédure électorale à laquelle ont participé – pour la première élection – deux mille six cents communautés soit 80 000 personnes .

76En accord avec les politiques d’intégration de la société chilienne non indigène de l’Etat national chilien, le chargé de la Corporation du Bois, Emilio Guerra, a déclaré à la mission de la Fidh que les mapuches avaient besoin de plus de Coca Cola et de Mac Donald’s, allusion faite à la nécessité de modernisation et d’intégration face au conflit forestier.

5. Difficulté d’assimilation des composants modernisateurs dans leur rééducation productive.

6. Discrimination et marginalisation des indigènes relocalisés, spécialement dans la parcelle du Huachi, dû à l’existence d’une paysannerie non-indigène qui parle déjà aujourd’hui de la précarité du marché local.

7. Diminution des contacts culturels avec la famille et les lignages éloignés. La relocalisation affecte indistinctement toute la communauté et la totalité de la culture Pehuenche. Son effet est manifeste par la rupture des liens familiaux, productifs et cérémonieux. Cette conséquence évidente est déjà sensible et présente un caractère irréversible. »

Le rapport juridique de la CONADI signale une contradiction entre le nombre de demandes de déplacements souscrites par des chefs de famille Pehuenche et les voeux exprimés par ces mêmes familles suite à la campagne d’information menée par la CONADI sur la signification et les conséquences réelles des échanges de terrains.

La conclusion du rapport juridique de la CONADI, signé à la Direction Nationale de Temuco, le 30 juillet 1998 est la suivante : « La permutation étant un acte juridique relevant du droit privé, il convient de prendre spécialement en compte les conditions de la volonté de l’intéressé, et cette dernière apparaît dans presque tous les entretiens de manière contradictoire. En effet les contrats de promesse de permutations ne concordent pas aux voeux exprimés des intéressés. L’analyse comparative de ces deux documents révèle :

1. Contenus de la permutation

« a- Les demandes de permutations s’inscrivent dans la réalisation du projet de la centrale hydroélectrique de Ralco et ne sont pas l’expression d’une libre volonté de déplacement.

b- Il existe une expectative économique relative à la permutation proprement dite et qui reste insatisfaite… les permutations… ne répondent pas à ce que les propriétaires indigènes estiment devoir recevoir en échange.

c – Le contenu de la permutation est évidement excessif en comparaison avec les exigences du projet de Ralco… [car les terrains offerts en échange]… perdent leur qualité de terres indigènes

d – D’autre part, l’article 7 de l’Instruction de permutation, définit ce qui doit être entendue par la valeur commerciale… De l’analyse des évaluations présentée par ENDESA, on peut conclure que la valeur des terrains a été déterminée en prenant en compte exclusivement leur potentiel forestier et agricole et les améliorations existantes mais en méprisant ce qui a été établi expressément dans l’article signalé.

e – On peut en conclure que l’évaluation [des terres indiennes réalisée par les propriétaires indigènes] excède de très loin la valeur objective des terres qu’ils reçoivent en échange. C’est ainsi qu’au travers des entretiens, presque tous … exigent comme conditions de la permutation des compensations économiques additives, conditions qui ont été acceptées par ENDESA mais n’ont, jusqu’aujourd’hui, pas été respectées.

2. Effets de la permutation

1 – Les permutations impliquent la relocalisation d’un grand nombre de familles indigènes. Le projet de Ralco a des effets qui altéreront substantiellement les conditions de vie, la culture et l‘environnement des personnes et des communautés de ce secteur.

2- Un autre élément d’analyse consiste à savoir si les terrains que les indigènes reçoivent en échange pourront reproduire, d’une manière ou d’une autre, les dites conditions de vie.

3- Nous pouvons en conclure que les permutations impliquent en général une insuffisance matérielle, génèrent un déracinement de la communauté, ne garantissent pas l’équivalence requise à l’échange des terres indigènes et ne compensent pas la valeur culturelle ajoutée spécifique aux terres indigènes conformément à l‘article 1 de la loi 19253 et de l’article 4 de l’amendement sur le procès d’autorisation de demande de permutation des terres indigènes, contenu dans la Résolution n° 582 daté du 30 décembre 1997, approuvée par le Conseil national de la CONADI77.

77« Pour le présent rapport, on a pris en considération les dossiers reçus par cette Corporation, les visites réitérées sur les terrains, ainsi que les entretiens personnels au total de 64, tous consignés par des registres audiovisuels, enregistrements, photographies… et ce rapport est le résultat du travail commun du juge de la Corporation, don Carlos Vargas Tapia, de l’avocate chef de l’unité juridique de la Subdivision nationale Sud, Mme Sandra Jélvez Mella et de l’avocat de la Direction régionale de Cañete, Mr. Egon Matus de la Parra »

Pour mettre en place l’approbation des intentions de permutations demandées par ENDESA, la CONADI fixe une cession de son Conseil de direction les 6 et 7 août 1998. La plupart des membres de ce conseil manifestent lors de cette réunion une position contraire à l’approbation des permutations, ce qui a été ratifié dans le rapport juridique de la CONADI.

Le 27 juillet 1998, le président de la république, par l’intermédiaire d’un fonctionnaire, sollicite la démission de deux des conseillers de la CONADI qui s’étaient opposés aux permutations. Le 5 août 1998, les autorités gouvernementales demandent la démission du directeur national de la CONADI, Domingo Namuncura, qui a dû abandonner ses fonctions immédiatement78.

Le 6 août, ayant été rendue publique la démission de M. Namuncura de la direction de la CONADI, divers secteurs indigènes ont mené devant les sièges de cette institution, des manifestations de désapprobation contre l’obstruction faite aux cessions décisionnelles du cas Ralco. Les autorités du gouvernement ordonnent la présence des forces militaires pour empêcher des incidents et changent les serrures des bureaux centraux de Santiago. De la même manière, les conseillers restants de la CONADI n’ont pas pu participer à la cession prévue le 7 août 1998.

Selon les témoignages des avocats de plusieurs Pehuenches, les enregistrements audiovisuels et actes qui furent joints au rapport juridique de la CONADI ne se trouvent pas dans le bureau de Temuco mais ont été transférés au Ministère du développement et de la planification.

En septembre 1998, a été désigné un nouveau directeur exécutif qui a procédé à l’élaboration d’un nouveau rapport technico-agricole. Ce nouveau rapport conclue à la convenance des permutations pour les demandeurs. Entre janvier et février 1999, la CONADI a approuvé la plupart des intentions d’échange, exclusivement sur la base des votes des représentants du gouvernement et malgré l’opposition ou l’absence des conseillers nationaux indigènes79. Ainsi, ENADESA poursuit la mise en œuvre de la centrale hydroélectrique Ralco.

Selon la CONADI, il existe quatre aspects qui fondent la décision d’approbation de permutation des terres Pehuenches80. Néanmoins, selon les réflexions des avocats défenseurs des Pehuenches, les analyses (Namuncura, Toledo) et les témoignages des membres des communautés de Quepuca-Ralco et Ralco-Lepoy, la loi indigène reste inappliquée.

1. La similarité de la valeur commerciale des terres indigènes et des terrains offerts par ENDESA.

Pour aboutir à cette conclusion, on ne considère pas l’évaluation commerciale des terres qui a été reconnue aux autres terrains des propriétaires non-pehuenches qui furent acquises. Tel est le cas du terrain Vilicura qui est considéré comme un terrain de service d’occupation et de transit par le projet, promis à l’inondation et qui après trois évaluations différentes a reçu la moins haute des trois. Les 1.335 hectares ont été estimés à 3.000.000.000 de pesos chiliens, c’est-à-dire une moyenne de 2.247.191 pesos chiliens par hectare81. Alors que la majeure partie des terrains pehuenches a été estimée à 112.000 pesos chiliens par hectare, c’est-à-dire 20 fois moins que pour les autres propriétaires. La raison de cette différence réside dans le fait que n’a pas été pris en compte dans cette évaluation le potentiel hydraulique de chacun des terrains ou lopins des Pehuenches qui sont concernés par le marché.

78Des fonctionnaires proches de la présidence de la république ont exprimé leur désaccord avec le rapport juridique de la Conadi, lequel annonce les conclusions prévisibles de l’opposition institutionnelle aux permutations. C’est le ministre de la planification du Midelplan lui-même qui a sollicité la démission du directeur exécutif de la Conadi lequel insistait sur la tenue des cessions résolutives du 6 et 7 août (Namuncura, 1999)

79Droit d’être représenté dans les instances de participation qui reconnaissent d’autres groupes intermédiaires… (Décalogue des droits indigènes). Ce droit que donne l’Etat chilien aux indigènes fut confisqué par décret dans le cadre de la résolution suscitée, en raison de l’absence des représentants indigènes, sans prendre en compte les irrégularités qui ont décidé de l’approbation de l’autorisation de permutation.

80Nous nous réferons ici aux conversations et documents de l’équipe de l’université ARCIS de Santiago du Chili

81Statué par le jugement de Sola Ruedi Mara, s’appuyant sur la clause n° 1673 de Endesa concernant le domaine de Vilicura

2. L’amélioration de la situation socio-économique qu’auraient les Pehuenches en comparaison avec la situation prévue. En effet, les familles qui ont été déplacées avec l’accord de la CONADI vivent sur des terres qui n’offrent pas les qualités suffisantes pour permettre de maintenir l’unité structurelle des familles et le mode de vie montagnard, de l’été à l’hiver.

3. L’équilibre productif des terrains offerts aux Pehuenches. En réalité, cet équilibre est insuffisant. Par exemple, le domaine de El Barco qui a été concédé se trouve à 95% de sa surface à 1000 mètres sous le niveau de la mer et dont 60% sont impropres à remplir les conditions nécessaires d’une permutation. Dans le cas des domaines de El Huachi et de Santa Laura, ces domaines ont moins de 50% des qualités productives que celles qui sont jugées nécessaires afin que les familles affectées à ces terrains puissent se sustenter et progresser. De plus, dans le rapport de MIDEPLAN de septembre 1998, on signale qu’aucune des parcelles de ces domaines ne remplissent les conditions pour devenir des unités agricoles productives car elles se trouvent en dessous de la capacité silvo-agraire nécessaire.

4. La préservation et le développement culturels des Pehuenches déplacés. La même ENDESA qualifie dans son étude d’impact environnemental de : « négative et majeure… l’action directe, permanente et irréversible mais compensable ». Impact qui, selon l’entreprise, se verra compensée, entre autres choses, par l’intégration des Pehuenches « au macrosystème national en échange évidemment de la perte de la culture traditionnelle » (Namuncura, 1999).

En complément, les grands impacts dont souffriront les communautés pehuenches seront :

– La séparation physique des membres de la communauté et des groupes familiaux.

– L’altération du système productif rendant impossible le développement de leur mode de vie montagnard en été et en hiver, compromet de façon négative toute leur activité et les cycles productifs.

– L’ingérence des célébrations rituelles et religieuses.

– L’altération du territoire du peuple Pehuenche, les dommages émotionnels et l’accélération de l’acculturation via l’intégration.

– L’apparition d’éléments de division entre les membres des communautés et entre les communautés pehuenches elles-mêmes.

-L’inondation des sites sacrés.

La FIDH appelle également l’attention sur la nature du consentement donné par les Pehuenches pour la permutation des terres. D’une part, l’ignorance manifeste des indigènes des conséquences qu’implique réellement leur consentement, rend nul et non avenu la qualité de la volonté contractuelle nécessaires aux permutations. Sur ce point, la disparition physique des documents et vidéos réalisés par le personnel de la CONADI lors de la consultation de chaque pehuenche « consentant » à la permutation, ne laisse pas sans interrogation. D’autre part, dans le processus d’obtention du consentement des familles pehuenches, on sait que des mécanismes de corruption ont été utilisés, moyens déjà employés dans la mise en place de projets antérieurs. Les Pehuenches ont ainsi été victimes d’un système politique de pressions exercé par les travailleurs et les fonctionnaires liés à ENDESA.

c) Illégalité de la Concession Electrique pour le projet Ralco:

Après avoir obtenu l’autorisation de l’Etude d’Impact Environnemental ainsi que l’autorisation d’un nombre important d’autorisationsès avoir reçu de nombreuses autorisations de permutation de terres pehuenches de la CONADI, ENDESA a requis la concession électrique qui doit être ordonné par le Ministère de l’économie au travers du secrétariat correspondant.

Au début de l’année 1998, ENDESA demande au Ministère de L’Economie, du Développement et de la Reconstruction une concession définitive pour établir la centrale hydroélectrique de Ralco, dans le cadre de la Loi générale des services électriques82. En accord avec cette loi, la demande est publiée au journal officiel du 15 avril 1998 et dans le journal La Nacion du 10 et 11 avril 1998. La procédure demande une durée de traitement de plus d’un an et demi à partir du moment où elle est confiée à la Superintendance de l’électricité et des combustibles (SEC). Durant cette période, les plans précis des affectations de terrains sont transmis à chaque Pehuenche concerné, sont reçus les oppositions à la concession et sont communiqués les rapports aux organismes d’Etat.

82DFL, n° 1, 1982, Ministère des ressources minérales

Entre autres oppositions émises par les propriétaires indigènes, la qualité juridique de « terres indigènes » des parcelles est particulièrement mise en avant, ainsi que la défense et la protection juridique spéciale accordée par la Loi indigène. De cette manière, il est directement fait allusion aux recommandations de la CONAMA. Le 25 octobre 1999, le superintendant de l’Electricité et des Combustibles, Juan Pablo Lorenzini Paci, a émis un rapport pour le Ministère de l’Economie avec un projet de décret de concession83. Ce rapport propose la concession définitive à ENDESA. Les alinéas 14, 16 et 17 statuent sur des questions fondamentales :

« 14. La concession qui part cet acte est attribuée, n’exempte pas des autres obligations légales, comme le respect de la législation environnemental dans la forme prévue pour l’exécution des œuvres qu’autorisent cette concession et des normes de protection, de soutien et de développement des indigènes établies par la loi N° 19.253.

16. Sans préjudices pour ce qui a été établi précédemment, on doit souligner que la loi N° 19.300… et le Décret N°30 de 1997… établissent les obligations pour l’exécution des projets de centrales hydroélectriques. Pour ce qui est… de pouvoir réaliser la centrale, ENDESA, devra remplir les conditions définies par les Résolutions N°10, datée du 06.06.97, N° 023, daté du 24.09.97 et N°024, daté du 02.03.97, toutes régies par la Commission Nationale de l’Environnement…

17. Nous devons de plus dans ce cas porter attention à la loi N°19253 sur la spécificité des ethnies indigènes, attention qui doit être fournie par la communauté en général et par l’état en particulier, pour respecter, protéger et soutenir le développement des indigènes, de leurs cultures, des familles et des communautés. Cette loi établit spécifiquement les normes de protection, de soutien et de développement des indigènes et a créé à cette fin la CONADI. Ce point est expressément réglementé dans un article du Décret de concession proposé. »

Le projet de résolution, concédé par les autorités respectives, redétermine les critères de protection environnementale et socioculturelle définis pour l’Alto Bio Bío et pour les communautés pehuenches. Au moment de l’émission du Décret de Concession Définitif84 ont été spécifiées les affectations des 131 terrains, dont 9885appartiennent à des pehuenches ou à leurs successeurs (63 lopins à Ralco-Lepoy et 35 à Quepuca-Ralco). Dans le décret définitif les alinéas suscités ont été omis et remplacés par :

« Insert 2 de l’article 9 : Les droits garantis par ce décret sont mentionnés dans la loi sur l’électricité qui confère aux titulaires d’une concession de ce type, mais ne déroge pas aux obligations légales supplémentaires qui sont pertinentes sur ce cas. »

Cette concession signifie qu’ENDESA pourra occuper les terres qu’elle demande, même contre la volonté des propriétaires indigènes et en dehors des normes de la loi 19253. De plus le décret omet la qualité de terres indigènes qu’ont les parcelles pehuenches, les incluant sous le terme générique de « terrains particuliers »86.

83Rapport ordinaire N° 06470 25/10/99

84Decret suprême N° 31 du 18 janvier 2000, publié le 16 mars 2000 au journal officiel

85Antérieurement une évaluation a été élaborée dans le cas de Maria Elena Sola Ruedi, évaluation qui définie la relation avec les parcelles des pehuenches dans un rapport de 20 à 1 par hectares. Une nouvelles plus récente parue dans le journal électronique el Mostrador (www.elmostrador.cl) le 13 octobre 2002 met en évidence une autre conséquence du projet Ralco. Mme Sola Ruedi a entamé un procés à l’encontre de l’entreprise pour que lui soit payé le solde qui correspond à ses terres. Ce procès a été suspendu suite à un décret prononcé par les tribunaux des lettres de Santa Barbara. En effet, au moment où Endesa a présenté un appel devant la Cours d’appel de Conception, les tribunaux des lettres de Santa Barbara ont édicté un ordre afin de libérer les comptes de l’entreprise. Il faut rappeler que Mme Sola Ruedi est la seule à avoir accepter de vendre son terrain à Endesa, terrain qui représente un tiers de l’espace que la centrale Ralco va occuper.

86Art. 7 / Les organes d’Etat agissent convenablement eu égard aux investitures régulières prévues de ses membres, à l’intérieur de leur compétences et dans la forme préscrite par la loi. Aucune magistrature, aucune personne ni groupe de personnes ne peuvent s’attribuer, même sous le pretexte de circonstances extraordinaires, une autre autorité ou d’autres droits que ceux qui lui ont été expressement conférés en vertue de la constitution et des lois. Tout acte contrevenant à cette article est déclaré nul et est passible des sanctions de la loi signale et la Constitution Politique de la Republique du Chili. Du point de vue de la mission de la FIDH, ce precepte constitutionnel remet en question l’institutionnelité de la loi 19253 et 19300, car l’harmonie interinstitutionnelle et internormative doivent primer dans cette résolution étant donné qu’elle concerne en premier lieu les ethnies indigènes et l’environnement.

Pour la FIDH, il est fondamental de respecter les normes de la loi 19253 ou loi indigène qui protège de manière spécifique l’existence des minorités ethniques, communautés indigènes, terres indigènes et aires de développement indigène. Cette loi, de même que la CONADI, institution étatique chargée de faire respecter les droits indigènes et ses règles, dans le cas d’une application fondamentale des droits positifs, doivent primer. Un des graves problèmes que la FIDH veut relever concernant le conflit du Biobio, est que la loi sur l’électricité prévaut sur la Loi indigène. Ce cas démontre comment les intérêts économiques d’un groupe associé à une transnationale prévalent sur les droits individuels et collectifs d’un peuple.

Actions judiciaires à l’encontre de la concession électrique

Diverses actions judiciaires devant les diverses autorités d’administration de justice ont été intentées par les femmes et les familles Pehuenches qui ont resisté encore au projet et aux permutations. De cette manière la mission de la FIDH a su qu’un recours de protection avait été présenté devant la cour d’appel de Santiago, s’opposant à la Loi indigène et à la Loi sur l’électricité.

De même, les sœurs Nicolasa et Berta Quintremán, avec entre autres les députés Alejandro Navarro Brian et Arturo Longton Guerrero, ont déposé devant la cour d’appel de Santiago le 31 mars 2000 des recours de protection, au regard de la garantie donné par les articles 1, 8 et 24 de la Constitution chilienne. Ces recours ont abouti à la prononciation d’un non-lieu, rendu par la Seconde Chambre de la Cour d’appel le 21 novembre 2001, sur la base qu’il s’avérait clairement que les décrets contestés ne pouvaient être qualifiés d’actes arbitraires.87

Une poursuite a même été engagée pour « nullité du droit public ». C’est dire si la défense du territoire Pehuenche et des terres des femmes de Mapu Domuche Newen a persisté dans le cadre de la législation chilienne, sans aboutir jusqu’à présent a un verdict protégeant de manière permanente et complète les droits qui auraient dû être pris en compte pour la construction de Ralco.

En décembre 2002, six femmes qui résistaient à la construction de Ralco ont déposé une plainte devant la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme de la OEA (Organisation des Etats Américains), dénonçant la violation des droits inscrits dans la convention américaine des Droits de l’Homme.

Face à la résistance des femmes regroupées dans Mapu Domuche Newen, ENDESA Espagne a soumis au Ministère de l’Economie des actions pour rendre effective la concession électrique dont ils sont bénéficiaires. En réponse à cette demande, le 5 avril 2002, le ministère a crée « la Commission des Bons Hommes» en accord avec la Loi sur l’électricité. Son travail consiste à évaluer les terres des propriétaires indigènes et non-indigènes qui n’ont pas encore conclu d’accord avec ENDESA pour la vente de leur terrain.88

Au moment de la finalisation du présent rapport, les membres de la mission de la FIDH ont été informés d’actions de résistance visant à empêcher l’arrivée des membres de cette Commission des Bons Hommes. De même, comme action légale en réaction aux mesures prises par le Ministère de l’Economie, la défense des familles qui résistaient dans le Biobio ont déposé une plainte devant la Cour suprême de justice, arguant d’un « déni de justice » de la part de la Cour d’Appel de Santiago. Cette plainte tentait d’empêcher la mise en route de la phase d’évaluation mais a été rejetée par la cour suprême en juin 2002. Récemment, le début du travail d’évaluation a été annoncé pour le 15 octobre. Par conséquent des actions de résistance pacifiques ont mené par les femmes pour empêcher l’accès de la commission aux terrains.89

87Au seul motif que les procédures auraient duré longtemps, « durante los cuales ocurrieron impugnaciones y reclamos, se recibieron informes de diversa indole, apareciendo definido y racional el objetivo que se persigue con las decisiones que en ellos se expresan ». D’autre part, les deux décrets ont été …. pendant le processus de connaissance de la part de la Controlaría General de la República, les trouvant conformes à leur juridicité et adapté à leur droit. Cependant, la négation du recours est importante pour souligner la déclaration incluse dans la phrase suivante :

« Considerando 21 … la sola circunstancia de haberse omitido consignar lo opinado por la Superintendencia de Electricidad y Combustible, en cuanto a que la concesión no exime de cumplir las leyes indicadas o lo resuelto por la CONAMA, no puede significar, en ningún caso, que el decreto N°31 pase por alto tal conjunto normativo que es obligatorio para todos los agentes de la administración y para los particulares concesionarios ; de manera tal que en el no cumplimiento de cualquiera de los aspectos referidos, deja abiertos los recursos administrativos y judiciales pertinentes. »

88La commission est composée de Kenny Vélasquez, Lawyer, Dick Bartelsman, agriculteur certifié, et Humberto Sepulveda, ingénieur civil.

Pour la mission de la FIDH, cette commission avec laquelle travaille ENDESA-Espagne manque de fondement légal et de légitimité. Le développement du projet hydro-électrique constitue de surcroît un précédent funeste pour les droits de l’Homme. Toutes les étapes d’évaluation par les institutions internationales et nationales ont été largement entachées d’irrégularités. Cette affirmation est vraie autant vis à vis des actions de la Fondation Pehuen sur l’impact de Pangue et de la désinformation au regard du contenu des rapports Downing et Hair, que vis à vis des autorisations de la CONAMA et de la CONADI aussi bien que de la concession électrique. Cette situation trouve son origine dans la complexité des relations Etat-ENDESA-Espagne. Pourtant, l’Etat chilien a la responsabilité et l’obligation nationale d’appliquer ses propres règles (Loi 19.253) de même que le devoir international de veiller à ce que les droits de l’Homme et les droits des populations indigènes en particulier ne soient jamais violées, en particulier au bénéfice d’un intérêt privé.

Cette situation se retrouve en contradiction avec l’attitude de l’Etat chilien sur la scène internationale. En effet, le gouvernement chilien actuel, comme ses prédécesseurs de la dite « concertation des partis pour la démocratie »90, a soutenu le projet de Déclaration des Droits des Populations Indigènes, en cours de préparation aux Nations Unies. Dans ce projet est stipulé dans l’article 10 que :

« Les populations indigènes ne seront pas déplacées par la force de leurs terres ou territoires. Il ne sera procédé à aucun transfert sans le consentement exprimé librement et en pleine connaissance des populations indigènes intéressées et il sera prévu un accord sur une indemnisation juste et équitable et, dans la mesure du possible, avec la possibilité de retour. »

Article 26 : Les populations indigènes ont le droit de posséder, de développer, de contrôler et d’utiliser leurs terres et territoires, étant inclus l’environnement total des terres, l’air, les eaux, les mers côtières, les glaciers marins, la flore et la faune et les autres ressources qui sont traditionnellement possédées ou occupées ou utilisées sous une autre forme. Ceci inclus le droit à la pleine reconnaissance de leurs lois traditions et coutumes, des systèmes de propriétés de la terre et des institutions pour le développement et la gestion des ressources, et le droit que les états adoptent des moyens efficaces pour prévenir toute ingérence, usurpation ou invasion en relation avec ces droits. 91 »92

89Article paru dans le journal El Sur le 16 octobre : « les sœurs Quintreman empêchent l’évaluation de leur terre et exige que l’on renonce à la Commission des Hommes Bons »

« Les familles Pehuenches du Alto Biobio dont les terres seront inondées par la centrale Ralco et qui n’ont pas encore conclu d’accord avec ENDESA pour quitter leur terre interdisent l’accès à leur terrain à la Commission de s Hommes Bons qui devraient évaluer leur terre pour leur expropriation. La commission, composée par l’avocat Kenny Vélasquez, l’ingénieur agronome Dick Bartelsman et l’ingénieur civil Humberto Sepulveda ont été interpellés par les sœurs Quintreman, qui non seulement leur ont interdit l’accès à leur propriété mais qui de plus leur ont transmis une lettre dans laquelle elles demandent que la commission renonce à son travail. Les familles Pehuenches ont rencontré l’avocat qui les représente, Roberto Celedon, qui a indiqué qu’étaient étudiées de nouvelles actions pour interdire que les familles soient obligées d’abandonner leurs terres, et parmi celles là est envisagé un recours à la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme, dont les résolutions sont obligatoires pour l’état chilien. »

http://www.mapuexpress.net/noticias/noticias2.htm#15

90Ainsi est dénommé l’alliance inter-partisane qui à réussi, avec les forces vives de la société chilienne, la transition démocratique après la dictature du général Augusto Pinochet.

91Projet de déclaration universel des droits des peuples indigènes; Organisation des Nations Unies. ONU,avril 1994, in América Indigèna, volumeLVIII, n° 3 4, juillet-décembre 1996, instituto indigenista interamericana, Mexico.

92Une étude réalisée par Risopatern Consultores, organisme privé spécialisé en économie et dans l’évaluation des impacts environnementaux, a objecté la justification économique du projet. Le projet de Ralco n’est pas considérer comme la solution optimale pour produire de l’énergie électrique, il apparaît au contraire qu’une solution termoélectrique représenterait une bien meilleure alternative pour l’économie chilienne. (ARCIS, sf)

Le droit à la participation et à la consultation est fondamental dans le contexte du droit international, comme il l’est dans la législation indigène chilienne qui s’enorgueillit des procédures d’investigation sur le libre consentement des Pehuenches qui acceptent le déplacement.

La mission de la FIDH reconnaît que les intérêts généraux de la nation constituent dans ce cas un des atouts juridiques qui doivent être garantis par l’Etat chilien ; cependant, il existe des possibilités alternatives, et il est fondamental de considérer dans le consensus, les droits politiques de participation et de consultation des citoyens chiliens, et plus encore de toutes les personnes indigènes (loi 19.253, décalogue de Droits Indigène). Les projets doivent être conçus en faisant primer le droit au développement de tous les chiliens et de toutes les chiliennes et intégrer la vision et le respect de la diversité culturelle et ethnique.

Que le Chili n’ait pas souscrit aux traités internationaux sur les droits des peuples indigènes, la Convention 107, réactualisée par la Convention 169 sur les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants de l’Organisation Internationale du Travail, ne dispense pas l’Etat de la responsabilité de garantir ces droits. L’institution des droits de l’Homme est une avancée pour l’humanité et leur réalisation intégrale est une demande éthique inexpugnable. On ne peut, par manque de normes, permettre que soient bafoués les droits des Mapuches-Pehuenches, surtout si dans ce cas il s’agit d’une question de survie culturelle.

La mission de la FIDH a pu rencontrer deux des cinq membres de la Commission sur les Droits de l’Homme du Sénat, à Valparaiso (Enrique Zurita, président de la Commission, membre de la Cour Suprême, et Jaime Naranjo, sénateur socialiste) dans le but de leur poser des questions sur les conflits entre les entreprises forestières et les Mapuches d’une part, et entre ENDESA et les Pehuenches d’autre part.

La réponse officielle fut une surprise et montra la non-reconnaissance du problème. Selon le président de la Commission il y aurait peu ou aucun « problème indigène » au Chili. « Il ne s’agit pas d’un peuple qui a besoin d’être protégé : les indigènes ont abandonné leurs terres pour aller vivre dans les villes, étant donné que leurs terres ne produisaient rien. La terre est peu rentable, et pour cette raison, le gouvernement l’a achetée. » Jaime Naranjo a affirmé que le conflit n’était pas grave et il s’interroge sur le bien-fondé d’une mission de ce type au Chili, étant donné que rien ne justifie sa présence.

Face aux préoccupations soulignées par les membres de la mission en relation avec les affrontements entre les Mapuches et les entreprises forestières, ainsi qu’ENDESA, le président Zurita répondait que « le pays a l’avantage de disposer de l’énergie la plus propre et la oins chère du monde. Contrairement au barrage des Trois Gorges en Chine, nous ne détruisons ni des peuples entiers, ni des lieux istoriques. »

La mission de la FIDH faisait alors référence au fait que la Banque Mondiale avait exprimé son désaccord en ce qui concerne sa contribution au barrage des Trois Gorges et que ce sont les multinationales qui l’ont financé contre l’avis de la Banque Mondiale. Le président répliquait que les Pehuenches vivaient uniquement de la collecte de pignons et que sur les terres qu’on leur propose ils pourraient cultiver du riz, du maïs et élever du bétail pour la consommation de viande. Face aux irrégularités du processus qui a permis à ENDESA de construire la centrale de Pangue, la première centrale du Bio Bío, de réaliser la deuxième étape et devant le fait que le problème indigène n’est pas uniquement chilien et qu’il existe aussi dans d’autres pays, surtout en Equateur, la réponse du président fut la suivante : « Ne comparez ces indiens avec les nôtres. Tous les pays d’Amérique latine ne disposent pas d’une législation indigène, mais nous oui. »

Enfin, après avoir répété que la présence d’une mission le surprenait, le sénateur a conclu qu’ « il n’existait pas de politique d’Etat qui poursuive les Mapuches. S’ils souhaitent se présenter aux élections qu’ils le fassent. Je n’ai aucun besoin de me déplacer dans la zone pour savoir que les conflits avec les propriétaires de terre sont les mêmes qu’il y a quarante ans. »

Il s’agit de la seule position obtenue de la part des autorités chiliennes en fonction. La FIDH regrette que la rencontre prévue avec le Ministre de l’Intérieur ait été annulée étant donné qu’il était important de connaître la position officielle du gouvernement face à l’ensemble des irrégularités mentionnées ci-dessus.

3. Conséquences de la construction de Ralco sur les pehuenches

Considérant les observations directes et documentaires réalisées par la mission, il faut souligner que la réalisation du Projet de la Centrale Ralco, dans les hauteurs du fleuve Biobío, affecterait de façon permanente la vie du peuple pehuenche-mapuche.

Diverses études mettent en évidence l’impossibilité pour des familles relocalisées de reconstituer un habitat propice à la continuité culturelle et civilisatrice de leur identité pehuenche. Aussi, signalons-nous les limites des fonds prévus pour la réinstallation des familles pehuenches, qui n’établissent pas les conditions nécessaires à la réédification d’une vie de la cordillère et la reproduction de leur culture en terme de spiritualité, de rituels et de cérémonies.

Selon Domingo Namuncura : « Il s’agit aussi de la mort civile, cette sorte de décès inexorable qui se produit quand il n’y a pas d’espace territorial, quand les valeurs ancestrales ne sont plus respectées, quand les droits ne sont pas reconnus. Ainsi l’individu et la communauté sont considérés comme des objets de négociations douteuses, moralement répréhensibles et socialement condamnables. »

La perte des valeurs constitutives de l’identité ethnique pourrait constituer une base pour assumer un ethnocide.

Actuellement, les familles de Quepuca Ralco et Ralco Lepoy qui ont été relocalisées, l’ont été en accord avec le plan présenté par l’Etude d’Impact sur l’Environnement. Les prévisions qui indiquaient que la relocalisation constituerait un obstacle pour la vie pehuenche ont été ratifiées93. Les activités propres à la période estivale et hivernale se trouvent limitées dans la pratique par les conditions spécifiques et très pauvres des terrains94. De plus, l’expectative de profiter de l’énergie gratuitement, dès la première année de réinstallation, promesse d’ENDESA, s’est transformée en désillusion, puisque que comme la majorité des usagers chiliens, les pehuenches de la zone doivent payer ce service.

Sur la route, la mission a rencontré un Pehuenche qui a accepté d’échanger ses terres. Il est relocalisé depuis 2 ans, à El Huachi. Quarante familles au total sont actuellement relocalisées sur ce lieu, et parmi elles, dix travaillent pour ENDESA. L’entreprise s’est engagée à aider les déplacés pendant une durée de dix ans. Certains d’entre eux affirment aujourd’hui avoir signé des documents qui autorisaient ENDESA à les expulser sans savoir de quoi il s’agissait.

La mission a été reçue à Tirua par le gouverneur de la province du Bio Bío, Esteban Krause. Selon Krause, les Mapuches concernés par le barrage Ralco peuvent être classés en trois catégories : ceux qui profitent de la construction du barrage et qui sont donc satisfaits ; ceux qui en profitent mais ne sont pas satisfaits et ceux qui refusent de quitter leurs terres.

« La Loi indigène, rappelle le gouverneur, ne permet pas de vendre la terre, mais de l’échanger contre une autre. » Le gouverneur semble ne pas comprendre le refus des Pehuenches d’abandonner leurs terres dans la mesure où « si l’on considère le climat et la topographie, le développement économique de ces terres s’avère très difficile. » Aussi, ajoute-t-il que le rôle du gouverneur consiste à collaborer avec ENDESA et les Mapuches. « Je dois obtenir des informations sur les négociations, ce qui n’est pas toujours facile. »

Selon le gouverneur, « les familles qui s’opposent à Ralco sont minoritaires, d’autant plus que le gouvernement a créé des programmes de développement dont profitent les communautés de l’Alto Bíobio ; il s’agit de programmes d’éducation, de santé, d’agriculture, de création de routes, etc. Les membres de la communauté Quepuca Ralco, qui ne sont pas obligés de se déplacer (mais dont la vie sera totalement bouleversée par Ralco), peuvent aussi présenter des projets dans ces domaines, qui seront examinés par l’Etat et soutenus s’ils correspondent à un besoin réel … une antenne locale devrait ouvrir ses portes prochainement qui regrouperait les différents services publics afin de faciliter la vie quotidienne des Pehuenches de la région. »

93La mission se réfère aux rapports émis par la CONADI en relation avec la capacité productive des Fundos El Huachi, Santa Laura, El Barco et EL Redil, qui correspondent aux lieux où furent relocalisés les comuneros.

94Dans les réunions encadrées/organisées par la Mission de la FIDH avec un grand nombre de comuneros de Quepuca Ralco, sur le terrain, on a pu observer les infortuinos que les parents, amis et autres membres du peuple pehuenche sont en train de traverser/ traversent, en raison de la relocalisation.

La mission a constaté que les familles actuellement en confrontation avec ENDESA se sentent abandonnées par le gouvernement, l’Etat et le pays. Le conflit qui oppose les familles Pehuenches à Ralco est emblématique. Il s’agit du symbole du pouvoir des entreprises multinationales. Eduardo Frei, ex-président de la République du Chili a signé, la veille de l’expiration de son mandat, un décret qui autorise ENDESA à continuer la construction du barrage du Bíobio. Il faut signaler que Frei est actionnaire de Provida, entreprise qui appartient à ENDESA.

En considérant comme cadre de référence la législation supra-nationale, le thème des relocalisations mérite une réévaluation exhaustive, précisément en raison des conditions coloniales, néo-coloniales et d’exclusion que les peuples indigènes ont subies dans le monde. Dans les considérations épistémologiques et éthiques qui constituent la base du droit occidental, il est stipulé que les biens juridiques garantis par les normes légales, le sont à travers un équilibre sévère et impartial, pour donner, causer un tort mais jamais pour diminuer. Domingo Namuncura, témoin privilégié comme fonctionnaire de la CONADI livre cette réflexion, à l’époque où les autorisations pour Ralco ont été accordées :

« Quelques indigènes ne peuvent arrêter le progrès de millions de chiliens. Alors pourquoi les Chiliens ne payent-ils pas ce que signifie la perte irréversible de la réserve naturelle de Ralco et la déstructuration de toute une culture ancestrale, unique sur le continent ? » (NAMUNCURA : 2001)

a) Répression envers les communautés

La mission de la FIDH a pu constater la répression subie par les membres de la communauté Quepuca Ralco, qui n’ont pas été relocalisées. Les terres de ces communautés, qui se trouvent éloignées de celles des sœurs Quintreman, ne seront pas inondées. Cependant, la Communauté est touchée par les travaux qui sont réalisés dans cette zone. A la conclusion des négociations, la Communauté et ENDESA ont signé, en 1998, un protocole dans lequel ENDESA s’engage à mener à bien un certain nombre de travaux dans la Communauté : reforestation, électrification des maisons, construction d’une école, et d’une polyclinique, de la mise à disposition d’une ambulance, etc. Cependant, malgré cet accord, les projets prévus n’ont toujours pas été lancés.

Depuis plusieurs mois, les Mapuches de Quepuca Ralco avaient dénoncé le non-respect dans leur totalité des accords signés avec ENDESA sur l’ensemble des mesures de compensation pour les impacts que provoquerait la construction de Ralco. Le 5 mars 2002, un groupe important de comuneros de Quepuca Ralco a manifesté pour attirer l’attention des autorités sur la situation. La manifestation s’est déroulée sur la route principale qui relie cette communauté à celle de Ralco Lepoy, et par laquelle transitent habituellement des véhicules et des camions d’ENDESA, les sous-traitants, et quelques particuliers. Après plusieurs heures de manifestation, dont la principale demande était la constitution d’une table de dialogue garantissant l’application du Protocole, des carabiniers postés sur les lieux arrêtèrent trois femmes les accusant d’être argentines.

Aux environs de midi, l’avocate de la CONADI, Lorna Arraigada, qui s’est engagée à interpeller les autorités pour trouver une solution, arrive. A 14 heures environ, un grand nombre de carabiniers arrivent dans deux mini-bus. La manifestation continuait dans le but de trouver une solution pour les personnes arrêtées, des voisines pehuenches connues. Vers 17h30, face à la menace de charge de 80 carabiniers des Forces Spéciales, les femmes sont rentrées dans leurs foyers.

« A dix-huit heures, les fonctionnaires de police, par voie terrestre et aérienne, ont commencé à lancer des bombes lacrymogènes et des balles en mousse et de plomb contre les personnes qui se trouvaient là. Ceci avec l’intervention active de deux hélicoptères de l’institution desquels étaient également tirés des projectiles contre les personnes et les maisons du secteur. Après le début de la répression des carabiniers et sans la présence d’aucun manifestant pehuenche, on a pu voir de loin l’incendie d’un camion d’une entreprise, fait qui relève totalement de la responsabilité des personnes en uniforme. De plus, des carabiniers après avoir arrêté Nelson Jara, pehuenche, employé de l’entreprise CCA comme chauffeur, l’ont emmené devant le camion incendié pour être photographié et inculpé, de façon totalement artificielle et fausse. » (Plainte devant le Procureur Militaire de Chillán)

ENDESA a envoyé des carabiniers qui ont accusé des membres de la communauté de possession d’armes et de terrorisme. Les carabiniers ont détruit les portes des maisons, ont procédé à des fouilles et ont volé un certain nombre d’objets comme des transistors et des radios. Certaines maisons ont été mises à sac.

Selon les témoignages recueillis par la mission de la FIDH, au cours de l’après-midi du 26 avril 2002, la répression exercée par les carabiniers le 5 mars, a été décrite par ceux qui l’ont subie de la façon suivante :

« Dans l’après-midi, au lieu des autorités, ce sont plus de 100 carabiniers qui sont arrivés. D’un hélicoptère, ils lançaient des bombes. Il y avait un membre de ENDESA : Carlos Fuenzalida. En raison de l’état avancé de la construction du barrage par la force et par les menaces, le gouvernement dit que les pehuenches s’opposent au progrès chilien mais le progrès ne peut pas se faire au mépris de tout un peuple. Les gens ne peuvent pas se taire face aux mauvais traitements en tant que propriétaires de la terre. Ils sont en train de tuer une identité, une culture. Là-bas un cimetière sera inondé, cette situation est inestimable économiquement. Nous avons présenté un recours devant la Cour de Concepción mais toujours pas de réponse. En tant que membre de cette parenté nous n’allons pas permettre le transfert de ces terres parce que c’est pour eux que nous sommes ici. Le gouvernement a failli dans son dialogue avec les Pehuenches. Les autorités de la région n’ont pas écouté. On a procédé à l’arrestation de 50 Pehuenches, dont des employés du barrage. Ils ont sorti les gens de leurs maisons, et les ont arrêtés. Il y a 9 inculpés qui souhaitent savoir pourquoi ils sont poursuivis, pourquoi on leur applique la loi anti-terroriste. En cinq jours, 45 Pehuenches de Chillán ont été inculpés : 11 femmes et des hommes. Les carabiniers ont eu recours à la violence, même sur María Curiao, présidente de la communauté qui a été blessée par trois balles. Lucía Reinao Huenchecao a été frappée avec un bâton et elle a des séquelles sur la tête. La première nuit, ils les ont emmenés à l’hôpital de Santa Bárbara. Ils ont emporté des outils comme pour prouver qu’ils les avaient attaqués avec des armes, alors qu’en réalité il s’agissait de matériel agricole. Les hélicoptères remplis de carabiniers ont tourné pendant 4 ou 5 heures, surveillant et terrorisant la communauté. Au vieillard Carlos Humberto Reinao qui n’a même pas participé, ils l’ont sorti de sa maison, laissant seuls deux de ses petits-enfants d’environ trois ans chacun. Une autre personne âgée de 73 ans a été frappée et blessée par balles. Héctor Vicente Jara Sepúlveda, d’environ 30 ans, fait partie des 9 inculpés. Devant les autres, ils l’ont frappé et battu. La plainte a été déposée à Chillán. »

Parmi les personnes qui ont rencontré la mission, plusieurs ont apporté des certificats médicaux de médecins ou de l’hôpital de Santa Bárbara qui attestent des blessures reçues le 5 mars. D’autres sont venus avec des radiographies de leurs fractures. Il faut signaler le cas de Jorge Godoy, à qui l’on a cassé le bras, et de Lucia Rinal, blessé à la tête par des coups de bâton. Ainsi, neuf pehuenches ont été sérieusement blessés ce jour-là.

« Nous ne sommes pas des terroristes mais les propriétaires de nos terres, expliquent les dirigeants de la Communauté. Nous ne souhaitons pas être maltraités par les carabiniers, nous voulons être écoutés par le gouvernement. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et tout accepter. ENDESA nous explique qu’il ne peut y avoir de progrès au Chili sans développement mais le progrès ne doit pas se réaliser aux dépens des Pehuenches. Aujourd’hui, ENDESA Chile est majoritairement contrôlée par ENDESA España : ce sont les nouveaux colonisateurs »

Selon la plainte présentée devant la Cour Militaire de Chillán, qui expose les faits et énonce les principes de droit violés lors de la répression du 5 mars 2002, les accusations seraient :

i) Détentions illégales sous l’accusation injustifiée d’agression de carabiniers en service (conformément à l’article 148 du Code Pénal) ;

ii) Violations illégales de domicile et violence inhabituelle (selon les dispositions de l’article 156 du Code de Procédure Pénale et de l’article 155 du Code Pénal );

iii) Dommages à la propriété, vols sans violence et saisies illégales (Article 432 et suivants du Code Pénal)

iv) Violences physiques et verbales (selon l’article 330 du Code de Justice Militaire), contraintes illégitimes (Article 150 A du Code Pénal) et abus malhonnêtes (article 366 du Code Pénal). De plus, la Loi Indigène souligne comme infraction dans son article 8 « la discrimination manifeste et intentionnelle contre les indigènes, en raison de leur origine et de leur culture »

Cette répression massive envers une communauté intégrée par des comuneros de tous âges est extrêmement préoccupante. La situation de répression violente subie par les membres de cette communauté le 5 mars 2002 est particulièrement condamnable. Cette répression s’est effectuée avec la participation d’agents de l’Etat chilien. La FIDH regrette qu’au lieu d’apporter des solutions face au non-respect du protocole par ENDESA95, l’Etat ait contribué à violer les droits fondamentaux des membres de la communauté Quepuca Ralco.

b) La résistance des femmes pehuenches

« Je possède cette terre … depuis le fond du monde », Berta Quintreman

« Je suis une personne de principe, ici dans cette terre se trouve notre patrimoine, je résisterai toujours pour défendre ma terre », Nicolasa Quintreman

Pendant de longues années, un groupe de huit familles n’ont pas donné leur consentement pour que leurs terres soient inondées ou échangées contre d’autres. Ce groupe représentait environ 30 personnes et était connu comme le groupe des « ñañas» (grandes sœurs) en raison de l’action courageuse des deux sœurs Quitreman, femmes d’un certain âge, à la tête d’une organisation de femmes : Mapu Domuche Newen (Femmes avec la Force de la Terre).

Les sœurs Quintreman, petites propriétaires, se sont opposées dès le début à laisser les terres qu’elles avaient héritées de leurs ancêtres. Elles ont aussi lancé des actions légales contre la concession électrique conférée à ENDESA España , et à force de ténacité, elles ont réussi à obtenir qu’un groupe de huit familles au total résistent à l’imposition de cette concession sur les droits fondamentaux protégés par la Loi 19.253 ou Loi Indigène.

La mission a rencontré les sœurs Quintreman (Nicolasa, 63 ans et Berta, 81 ans) dans le magnifique paysage du haut Bio Bío, aujourd’hui totalement transformé par les travaux. La montagne est désormais ouverte. Le seul lieu de paix sont les petites propriétés sur lesquelles les familles vivent avec quelques animaux : des chevaux, des moutons, des chèvres, des poulets, des dindes, des canards, etc.

Vêtues de costumes traditionnels, légèrement parées de bijoux pour honorer les visiteurs, les sœurs Quintreman ont beaucoup d’énergie. Dans un sens, elles représentent un symbole de la lutte indigène et pour cette raison, elles subissent d’importantes pressions, de la part des écologistes et des médias. Les premiers veulent les convertir en symbole d’un Chili nostalgique, qui refuse la modernité.

« Nous ne voulons pas partir, affirment-elles d’une seule voix. Ils nous promettent une fortune mais nous ne voulons pas d’argent. Nous avons une vision différente du monde. Nous souhaitons mourir ici, là où nos parents et nos ancêtres sont morts avant nous. Nous sommes sans cesse harcelées, nous devons enfermer nos animaux pour que les camions d’ENDESA ne les écrasent pas mais nous préférerions mourir plutôt que d’abandonner nos terres. Le barrage a déjà détruit deux de nos cimetières. Les ouvriers remuent la terre et détruisent nos lieux de culte et nos pierres sacrées. Nous aimons la terre mère et la vie ici. La vraie vie, c’est la nôtre, pas celle de Ralco. Il y a un temps pour dormir et un temps pour travailler. Ici, les ouvriers travaillent jour et nuit. C’est cela la qualité de vie d’ENDESA ? » Debout pour exprimer leur colère, Nicolasa et Berta affirment : « depuis les colonisateurs, tout se transforme mais nous conservons notre terre. Le fleuve, la montagne, notre langue, notre culture, font que nous ne partirons pas. Sans nous, la terre va mourir. Ceux qui sont partis sont intéressés par l’argent. Nous non. Nous croyons en la terre, pas dans l’argent. Ceux qui sont partis ne vont pas bien, allez les voir ! »

L’ensemble du groupe soutient que la culture pehuenche, patrimoine de leurs ancêtres, est intimement liée au territoire du Haut Bio Bío. L’attachement à la forme de vie traditionnelle, la qualité des terres qu’ils occupent depuis des générations, la transhumance qu’implique les récoltes, l’élevage, la collecte du pehuen, les tissus ont été et continuent d’être le témoignage d’une culture qui en harmonie avec la nature prend ce dont elle a besoin, la respecte et la considère. La terre est intimement liée à l’identité mapuche-pehuenche, dans sa compréhension et son appréhension du monde, et même dans ses manifestations religieuses. MAPU signifie terre, CHE homme. Dans la compréhension cosmique des mapuches-pehuenches, la terre fait partie du cosmos.

95Ce non-respect paraît évident pour la mission, qui n’a pu observer aucune initiative en faveur de la population « indirectement affectée » par la construction de Ralco, comme il était convenu dans le protocole signé entre la communauté et ENDESA-España.

La mission a pu aussi rencontrer les autres femmes de ce groupe organisé et en résistance. Exprimant une détermination à rester vivre sur leurs terres, ces femmes ont dénoncé les actions d’hostilité constantes dont sont victimes les dernières familles qui vivent dans cette zone élevée de Ralco Lepoy. La mission a recueilli les témoignages suivants :

Aurelia :

La famille d’Aurelia compte quatre personnes. Son mari, elle et ses deux filles. Pour ne pas subir de discrimination au collège, les filles d’Aurelia comme tous les enfants de la région ont des noms doubles : Mapuche ou Pehuenche et espagnol : Mijaray devient Flor de Oro et Meulen devient Sandra. La maison est en bois, avec un toit de tuiles. Un grand poêle chauffe la pièce commune. Il y a deux chambres, une pour les parents, l’autre pour les enfants. La maison n’est pas loin de la maison des sœurs Quintreman. Un terrain de camping a été organisé depuis plusieurs années. Avant la construction du barrage, ils accueillaient les promeneurs qui souhaitaient découvrir les merveilles du lieu. Il constituait une source de revenu pour Aurelia et son mari.

« Ils nous harcèlent pour que nous partions, raconte Aurelia. Les machines travaillent jour et nuit, le bruit est infernal. Pendant la nuit, les camions font trembler la maison. Si un animal est sur la route, une poule, une chèvre ou un chien, ils l’écrasent sans pitié. Nous sommes menacés sans cesse. Ils nous disent : « si vous ne négociez pas, vous partirez par la force des carabiniers ». Le gouverneur ne nous soutient pas. Il a déclaré qu’il ne peut rien faire contre l’entreprise, et nous ne recevons d’aide de personne. Cependant, la Loi indigène devrait nous protéger. Ceux qui ont accepté de partir et sont relocalisés à El Huachi n’ont ni eau ni électricité, le contraire de ce qu’on leur avait promis. Si nous partons, nous ne pourrons pas choisir les terres. Que faire de terres sans rendement, sans arbres et sans eau ? Ceux qui sont partis à El Huachi n’ont toujours pas de titre de propriété … Ici, nous n’avons pas d’électricité mais nous ne l’avons jamais eue, et nous disposons de l’eau dont nous avons besoin pour nous et nos animaux. Nous vivons de la collecte de pignons, c’est peu mais cela nous suffit. »

En effet, la mission a pu constater le passage incessant des camions qui parcourent sans relâche le chemin. D’autres témoignages, comme celui de Julia, confirment que les animaux domestiques sont régulièrement écrasés par les camions qui ne diminuent pas leur vitesse quand ils passent près des propriétés. D’autre part, en plus des cimetières inondés par le premier barrage, un cimetière vient d’être détruit par des bulldozers. Quand les Pehuenches ont protesté, ENDESA a affirmé qu’il n’y avait rien sur ce site. Une commission archéologique de Santiago a trouvé des restes humains et a confirmé l’existence d’un cimetière.

Rosario

« Avec ENDESA, tout va mal, même les volailles et les petits animaux sont écrasés. Ils vont toujours un peu plus loin. Quand l’entreprise est arrivée, ils ont brûlé notre maison, apparemment le contre-maître. Nous avons passé 6 mois à dormir sous un arbre. Qui va payer ? Ils disent que ma nouvelle maison c’est ENDESA qui me l’a donnée, mais c’est faux. Moi, ils ont essayé de me tuer. Je suis prêt à mourir, mais je ne quitterai pas ma terre. Que Ralco ne soit pas construit ! C’est la terre de mes grands-parents, ma culture. Ils ont brûlé un camion d’ENDESA et ils ont accusé Hilda et un autre Lamien96. Quatre fourgonnettes de carabiniers sont venues en janvier 2001. Ils cherchaient le fils de Nicolasa. Pour mener l’enquête, ils ont eu recours à la Loi Anti-terroriste et veulent prouver qu’ils sont complices. Les carabiniers nous menacent en disant que si nous sortons ils sont là pour nous tuer. Les carabiniers travaillent, mangent, logent et se déplacent dans les camionnettes d’ENDESA et cette situation dure depuis le deuxième incendie de camions en février. »

Chao Chao

« Le président est acheté par l’entreprise. Le précédent a laissé la voie ouverte. Maintenant ce président espagnol l’utilise. Un président chilien doit aimer et soutenir ceux qui ont les premiers mis le pied sur cette terre : les Pehuenches. Ricardo Lagos nous a proposé de tenir un rôle différent de ses prédécesseurs mais cela n’a pas été le cas. Ils nous accusent d’être des terroristes. Je crois en le chao chao97, pas en l’argent que nous « offre » ENDESA. Que vont devenir les enfants dans cet environnement, avec cette centrale hydroélectrique. Avant, ils faisaient ce qu’ils voulaient, aujourd’hui ils ont face à eux des femmes et nous n’allons pas partir. »

96Lamien : compagnon, frère, en mapudungun.

97Chao Ngenechen : Dieu créateur dans la cosmovision Pehuenche-Mapuche.

Mercedes Julia Guenteao

« La construction du barrage nous empêche de dormir. Nous souffrons beaucoup à cause d’ENDESA. Ils veulent nous faire du tort. Je ne quitterai jamais la terre sur laquelle mes fils, mes parents, mes grands-parents sont nés. J’ai 68 ans, je suis veuve depuis 20 ans, j’ai 9 enfants. Je vis à Ralco Lepoy avec trois de mes enfants. Je possède 21 hectares ici et 70 ailleurs. Avec ENDESA, nous ne pouvons pas travailler. Nous vivons dans le bruit et l’inquiétude. Les animaux sont renversés, les chèvres, les moutons, les chiens. Nous avons toujours eu de l’eau en quantité abondante. Mais maintenant, l’eau du puits est polluée par de la pierre écrasée et ressemble à du lait. »

De plus, la mission a pu rencontrer et discuter avec d’autres femmes de l’Association Mapu Domuche Newen98, composée de comuneros et de familles qui vivent dans la ville de Santa Bárbara et qui ont constitué un groupe de soutien essentiel pour la résistance de las « ñañas » (grandes sœurs). Elles ont dénoncé le harcèlement qui résulte de leur appartenance à cette association ; ainsi, le 4 mars, Hilda del Rosario Riquelme Hueuteao a eu un problème mécanique étrange sur la nouvelle camionnette de l’organisation qui a failli causer un accident mortel99.

L’action de résistance de ces femmes reconnues comme les « ñañas »100a connu une transcendance nationale et internationale.

Sur le plan national, Ricardo Lagos, avant son accession à la présidence en tant que candidat socialiste, a exprimé son engagement à soutenir et à défendre la cause des ñañas. Cependant, le projet de la Centrale Ralco est en route et c’est le ministre de l’Economie de l’actuel gouvernement qui a créé la fameuse Commission des Bons Hommes101pour diminuer les terrains de conflit, en prévision de la concession électrique.

La Commission, dès qu’elle aura réalisé un rapport d’expertise et d’évaluation des droits, le remettra aux intéressés, puis ENDESA pourrait alors rendre la quantité fixée par la Commission, plus de 20% pour le propriétaire du terrain, en réalisant un dépôt judiciaire (compte courant du tribunal de la zone). Une fois le montant réglé, le juge concerné ordonnera « qu’il soit procédé à la possession matérielle des terrains » ou ce qui dans les faits se traduirait par le déplacement de populations. Sur ce point, le seul chemin légal approprié serait que dans un délai de 30 jours après la présentation du rapport de la Commission des Bons Hommes, une plainte soit déposée, conforme au montant fixé.

A cause des fortes pressions de la part de l’entreprise et du gouvernement et en absence d’une forte reaction de la société civile chilienne, les grandes soeurs se sont vues obligées d’initier un processus de négociation avec le gouvernement. 102.

V. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

CONCLUSIONS

98La mission s’est entretenue avec Hilda del Rosario Riquelme Hueuteao et Aurelia Mariuan Mora (dont le nom en mapudungun est Meulen Huencho).

99Dans un communiqué de presse diffusé après le déroulement de la mission FIDH, daté du 24 février 2002, le GABB (Groupe d’Action pour le Bíobio) et Mapu Domuche Newen ont enregistré les plaintes suivantes : 1) Action de carabiniers de la caserne de Ralco pour solliciter et exiger les papiers d’identité et la destination de ceux qui se rendaient à l’Alto Bíobio, alors que pour la majorité il s’agit d’habitants, originaires de ce lieu depuis des générations et que la Constitution chilienne consacre comme un droit fondamental de liberté de transit, dans l’article 19, n°7. Les membres de la mission ont dû eux aussi présenter leurs papiers et déclarer leurs intentions. 2) Des cas de personnes et de véhicules non identifiés qui auraient suivi et amedrentado à différents membres des groupes signataires. 3) Des indices existeraient pour prouver que des personnes qui soutiennent les familles en résistance sont sous surveillance électronique

100Ñañas : terme colloquiale du dialecte pehuenche que les femmes utilisent pour désigner leurs sœurs ou leurs amies.

101Résolution exenta N° 21 d’avril 2002, du Ministère de l’Economie.

102Face à la pression exercée par l’entreprise et le gouvernement et au peu de pression de la société civile chilienne, les sœurs Quintreman ont été obligées d’entamer un processus de négociation avec le gouvernement.

La mission de la FIDH a pu constater qu’il existe deux conflits d’importance au Chili qui opposent les intérêts des entreprises privées qui exploitent les ressources naturelles et les intérêts collectifs et individuels de communautés qui appartiennent au peuple indigène mapuche.

La mission souligne que la confrontation entre les communautés mapuches et les entreprises forestières d’une part, et le conflit entre les communautés mapuches-pehuenches et l’entreprise transnationale ENDESA-España, d’autre part, constituent un défi historique pour l’Etat chilien, qui doit protéger les peuples indigènes et garantir leurs droits de l’Homme.

Bien que le Gouvernement chilien ait promulgué la Loi 19.253, dont l’objectif est la protection des peuples indigènes, il n’existe ni reconnaissance constitutionnelle des peuples indigènes en tant que peuples originaires, ni reconnaissance du caractère pluri-ethnique et multi-culturelle de l’Etat au Chili. De plus, l’Etat chilien n’a toujours pas ratifié la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants.

De plus, la mission a constaté avec préoccupation que le gouvernement ne remplit pas son devoir de veiller à l’application effective de la législation interne sur les peuples indigènes.

Au contraire, l’Etat a choisi d’adopter une position neutre face aux revendications des communautés indigènes tandis qu’il soutient les entreprises privées, en utilisant la répression contre les communautés mapuches.

1. Conflit forestier

Le conflit forestier trouve son origine dans le processus d’occupation des terres indigènes, mis en oeuvre à partir de la fin du XIXesiècle. Ce processus, amplifié au cours du XXesiècle et temporairement interrompu par des tentatives de restitution partielle des terres aux peuples indigènes entre 1964 et 1973, s’est accru sous la dictature du Général Pinochet, qui a mis en place une contre-réforme agraire extrêmement préjudiciable pour les communautés indigènes. Ainsi, pour les mapuches, le conflit actuel constitue une conséquence de la contre-réforme agraire de la dictature.

La politique de division des terres indigènes encouragée par Pinochet a provoqué une paupérisation dramatique des communautés affectées, ce qui a provoqué en 1978 la création de la première organisation traditionnelle mapuche, et par la suite des actions en justice pour la récupération des terres indigènes.

Cependant, les tribunaux chiliens n’ont pas répondu aux demandes juridiques des communautés mapuches, et les procédures judiciaires se sont transformées en d’interminables problèmes bureaucratiques sans aucune solution définitive, ce qui a provoqué de grandes frustrations dans les communautés qui aspirent à vivre des terres de leurs ancêtres avec dignité.

Comme l’Etat chilien n’assume pas sa responsabilité pour résoudre le problème entre les revendications des communautés mapuches et les entreprises forestières, qui possèdent les titres de propriété, la situation conflictuelle s’aggrave et différentes organisations mapuches ont encouragé des actions d’occupation productive des terres et de paralysie des exploitations forestières dans les territoires qu’ils considèrent comme les leurs. Même si ces actions impliquent exceptionnellement des dommages à la propriété, la réponse des autorités est totalement disproportionnée, excessive et viole leurs droits fondamentaux, dont la mort de Lemun est la preuve.

Pour protéger leurs intérêts contre les actions des Mapuches, les entreprises forestières ont engagé des gardes privés armés, qui ont été dénoncés à plusieurs reprises pour intimidations et harcèlement contre les communautés. Un des objectifs de ces groupes privés est de provoquer les affrontements, pour ensuite montrer des réactions violentes des Mapuches à l’opinion publique.

Davantage préoccupante encore est la réponse des autorités qui, à travers le recours à la force et une véritable répression violente contre les communautés, ont décidé de fait de sauvegarder les intérêts des grandes entreprises forestières, en se fondant sur le respect de la propriété privée. La FIDH déplore la réalisation d’opérations de police abusives et brutales qui ont blessé des dizaines de personnes depuis 1998, et ont même entraîné la mort de deux comuneros mapuches en 2002. De plus, la FIDH dénonce la responsabilité de l’Etat, par action ou omission, dans la disparition de Jorge Arturo Saurez Marihuan au cours d’une action de récupération de terres le 5 décembre 2002. Son corps est retrouvé sans vie 6 jours plus tard avec des traces évidentes de tortures.

Ainsi, les actions des Mapuches, au lieu d’accélérer l’étude des demandes juridiques territoriales, ont entraîné la mise en place d’une politique juridique répressive dirigée contre les Mapuches ainsi que la criminalisation de leurs actions, à travers le recours à la Loi Anti-terroriste et à la Loi de Sécurité intérieure de l’Etat. Ces politiques, ajoutées à la corruption et aux manœuvres des entreprises forestières, se sont traduites par des persécutions et des condamnations pénales, fondées sur des processus qui présentent des irrégularités de forme et de fond.

La persécution de l’Etat dirigée intentionnellement contre les défenseurs des droits de l’environnement, sociaux, collectifs et humains des Mapuches est particulièrement préoccupante. En effet, les Mapuches qui ont réalisé des actions en relation avec leurs demandes territoriales ne sont pas les seuls à être menacés et harcelés puisque même les avocats qui défendent les prisonniers mapuches poursuivis pour des délits sont concernés.

Cette situation a entraîné de sérieux préjudices pour l’environnement ainsi qu’un appauvrissement et une acculturation des communautés d’une part, et d’autre part des divisions internes concernant les stratégies indiquées pour se défendre et une « radicalisation » de certains secteurs des communautés mapuches en conflit.

2. Projet Ralco

Le projet hydroélectrique situé sur le fleuve Bio Bío, habitat ancestral de la culture Pehuenche, est un méga-projet qui doit être analysé comme un ensemble qui comprend la Centrale Pangue, la future Centrale Ralco, et d’autres projets. Ainsi, seule une perspective plus large qui considère l’ensemble du méga-projet permet de considérer les impacts environnementaux, sociaux et culturels.

Après la construction de la Centrale Pangue, première phase du « Méga-projet », il faut noter une plus grande dépendance des communautés pehuenches concernées vis-à-vis de l’Etat chilien. La mission a pu constater que non seulement leur économie et leurs ressources, mais aussi leur culture sont directement affectées par ce premier barrage. Les inondations qui ont touchées les VIIIème et IXèmerégions au mois d’août 2002 sont la conséquence de la construction du barrage de la Centrale Pangue. En raison de ces impacts négatifs, la Banque Mondiale, entité qui a en partie financé la Centrale Pangue, a refusé de financer la Centrale Ralco.

Concernant la Centrale Ralco, la mission a souligné les irrégularités de forme et de fond dans la concession des permis requis. Ce phénomène devient flagrant en ce qui concerne les autorisations requises par la Commission Nationale de l’Environnement (CONAMA), de la Corporation Nationale de Développement Indigène (CONADI), et de la concession électrique.

Les irrégularités qui concernent l’autorisation de la CONADI, organisme créé par la Loi Indigène et qui a comme fondement de protéger les droits de ces communautés vulnérables, sont particulièrement préoccupantes. Il existe une contradiction entre les premiers rapports de la CONADI sur les transferts de terrains nécessaires à la construction de Ralco et l’autorisation obtenue grâce à une ingérence directe de la part de la présidence de la République. Ces irrégularités ont nuit à la légitimité de la CONADI, ce qui a été dénoncé par des ex membres éminents de cette institution, par des universitaires respectables, par des institutions des droits de l’homme et par des organisations indigènes, entre autres.

Ces irrégularités permettent dans la pratique la violation de la loi chilienne et en particulier de la Loi Indigène. Ainsi, le cadre normatif chilien protège la propriété privée et prévoit des normes spécifiques pour le transfert de propriétés. Dans le cas des terres indigènes, la Loi Indigène régule leur protection, et défend leur caractère inaliénable, non saisissables, non imposables et non acquérables par prescription. Ainsi, les seules formes de transfert sont : les transferts réalisés entre indigènes d’une même ethnie et ceux réalisés avec l’autorisation de la CONADI, au cas où les terres échangées perdent leur qualité d’indigènes. En raison des irrégularités mentionnées, les communautés de Ralco Lepoy et de Quepuca Ralco sont en danger. Ceci est aussi valable pour les Mapuches relocalisés, comme pour la population touchée indirectement par l’implantation du méga-projet hydroélectrique du Bíobio, ainsi que pour les familles qui résistent à la relocalisation. Encore plus grave, le projet remet en cause la survie même des communautés, car il affecte l’ensemble des relations ancestrales, familiales, symboliques, sociales, politiques et de production du peuple pehuenche, qui sont essentielles pour maintenir le développement de leur vie et de leur culture en tant que peuple sur le territoire de l’Alto Biobío. Ainsi, on peut conclure que la construction de la Centrale Pangue non seulement enfreint les droits individuels et collectifs du peuple pehuenche reconnus dans les nomes internationales relatives aux droits de l’Homme des peuples indigènes, mais aussi elle provoque une destruction culturelle imminente de ce peuple, ce qui peut être considéré comme un ethnocide culturel. La pression exercée par l’Entreprise ENDESA-España sur les comuneros pour parvenir à leur relocalisation doit être condamnée avec fermeté. La manière utilisée par les membres de l’entreprise pour obtenir la signature des contrats, sans en exposer le véritable contenu, peut être considérée comme criminelle car elle a conduit à l’abandon de terres par les comuneros qui n’auraient jamais accepté cette proposition en connaissance de cause. De plus, les promesses et les engagements pris par ENDESA ne sont toujours pas tenus tant dans les territoires dans lesquels s’est produite la relocalisation que dans les territoires de la communauté Quepuca Ralco, qui sera indirectement affectée par la centrale Ralco et qui a signé un protocole avec ENDESA en 1998. La FIDH est particulièrement préoccupée par la répression subie par 8 familles qui continuent de vivre dans la communauté de Ralco Lepoy et dirigée contre des comuneros de Quepuca Ralco, qui ont été frappés le 5 mars 2002. La participation de la force publique dans cette violente répression qui s’est traduite par des blessés, des détentions illégales, des violations de domicile, des dommages à la propriété, etc. est inacceptable. RECOMMANDATIONS :

Générales :

En premier lieu, la FIDH insiste auprès du pouvoir judiciaire chilien pour qu’il lance un processus de débat qui débouche sur une réforme constitutionnelle qui reconnaisse le caractère pluriethnique et multi-culturel du Chili et qui intègre les droits collectifs des peuples indigènes.

De même, nous demandons aux autorités compétentes d’encourager les réformes juridiques nécessaires pour parvenir à une reconnaissance effective des droits participatifs et politiques des mapuches. Une attention particulière devra être portée aux réformes qui permettent une meilleure protection des droits indigènes sur les ressources naturelles, qui ont été violés par Ralco et par les entreprises forestières. De même, nous demandons que soient appliquées les réformes politiques nécessaires pour assurer une participation effective des mapuches dans les décisions les concernant.

Il est aussi important que ces thèmes soient spécifiés dans les conclusions de la Commission de Verité Historique et de nouveau Traitement.

Plus urgent, il est fondamental que le gouvernement chilien prenne toutes les mesures nécessaires pour que la Loi 19.253, qui protège les peuples indigènes, soit respectée et appliquée dans sa totalité. Aussi, l’Etat chilien doit-il élaborer et mettre en œuvre une politique claire relative aux peuples indigènes, avec l’objectif de protéger de façon spécifique les communautés mapuches dans le contexte actuel. Dans ce sens, il faut considérer la possibilité de créer une institution similaire à la CONADI, mais qui compte sur une légitimité et une indépendance suffisante pour éviter que cet organisme ne soit manipulé par l’Etat en fonction de ses intérêts. De plus, l’Etat chilien doit réaliser une révision participative de ses plans et de ses programmes avec la participation des populations indigènes. L’Etat doit éviter de criminaliser le conflit, en cherchant des alternatives politiques de résolution des conflits fondées sur le dialogue. La nécessité d’encourager le dialogue comme alternative doit être soulignée. Les représentants élus par les propres peuples indigènes doivent participer à ce dialogue. En particulier, la FIDH demande instamment au gouvernement chilien de moderniser et d’améliorer la défense pénale mapuche, ce qui implique une meilleure équipe professionnelle spécialisée dans la défense pénale, mais aussi experte en droits sociaux et culturels. La défense pénale mapuche devra aussi disposer d’une présence dans diverses communes de la région et pas seulement dans la capitale régionale, comme c’est le cas pour l’instant. Au niveau international, la FIDH demande au gouvernement chilien de ratifier dans les plus brefs délais la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail sur les Peuples Indigènes et Tribaux dans les Pays Indépendants, .

Finalement, nous recommandons à l’Etat chilien que les délégués pour le traitement du Projet de Déclaration des Nations Unies sur les peuples indigènes défendent une position concertée avec les organisations des peuples indigènes.

En relation avec le conflit entre les communautés mapuches et les entreprises nationales et multinationales :

La FIDH demande au gouvernement chilien de satisfaire son obligation de mettre en œuvre une enquête exhaustive et impartiale sur la violence exercée par des agents de police ainsi que par des groupes privés contre les communautés mapuches, qui doit se traduire par des condamnations des responsables des actes de violence en conformité avec la loi chilienne, qui ont entraîné la mort et des dizaines de blessés. Les condamnations doivent également inclure des réparations pour les victimes.

La FIDH appelle aussi à la révision des procédures pénales engagées contre des Mapuches, et en particulier celles qui concernent des dirigeants et des défenseurs des droits de l’homme. L’Etat doit renoncer à l’application de la Loi de Sécurité Intérieure de l’Etat et de la Loi Anti-terroriste, dans la mesure où elles sont préjudiciables aux droits des inculpés. Ainsi, nous recommandons la création d’un Observatoire Citoyen pour un procès équitable pour les Mapuches, qui dispose du soutien moral et politique de l’Etat et des institutions chiliennes. La FIDH demande le respect et la mise en œuvre de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, adoptée par les Nations Unies le 9 décembre 1998.

De plus, l’Etat chilien doit initier un processus de révision des demandes de terres réalisées par les peuples indigènes et apporter des solutions spécifiques et satisfaisantes à ce problème.

La FIDH demande la création d’une commission indépendante avec la participation internationale, pour réviser les irrégularités signalées relatives aux autorisations de transferts de terres et pour adopter une position définitive sur la légitimité et la légalité de la résistance de 8 familles et de la réalisation de la Centrale Ralco. La même commission devrait se prononcer sur les mesures de réparation qu’elle jugera nécessaire pour compenser les dommages subis par les communautés mapuches de Ralco Lepoy et de Quepuca Ralco.

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