18/07/2006
Argentine: Benetton en fait voir de toutes les couleurs aux
Indiens Mapuche.
par Sarah Vuibert
En conflit avec le peuple Mapuche, la chaîne de vêtements
Benetton a décidé de lui octroyer 7500 hectares de terres au
Sud de l’Argentine. Une décision qui ne risque pas d’apaiser
les rancoeurs d’un peuple spolié depuis des centaines d’années.
« United Colors of Benetton », un beau slogan pour une entreprise
qui ne l’applique pourtant pas : selon Página 12, quotidien indépendant
argentin de gauche (le plus important de Buenos Aires), l’entreprise
italienne tenterait d’amadouer les Mapuches en leur offrant quelques
ridicules hectares… non cultivables de surcroît !
Les Mapuches (littéralement « peuple de la terre »), originaires
du centre et du sud de l’Amérique latine (c’est-à-dire
l’Argentine et le Chili actuels), sont ceux qui reconnaissent leur appartenance
ou leur intégration à un territoire. Forte est leur demande de
reconnaissance. Un million et demi de Mapuches vivent au Chili, tandis qu’en
Argentine, ils sont 200 000. Et 94% ne possèderaient par d’acte
de propriété de leur terre…
L’entreprise Benetton existe quant à elle depuis les années
60, et est actuellement présente dans 120 pays. Possédant plus
de 970 000 hectares de terres en Patagonie par le biais de la Southern Argentinian
Land Company (Entreprise Terrestre d’Argentine du Sud), Luciano Benetton
a déjà proposé la donation de 2500 hectares à la
communauté des Mapuches en 2004, et de 7514 hectares en novembre 2005.
Ces derniers ont néanmoins catégoriquement refusé : selon
eux, ce n’est pas faire acte de philanthropie que de restituer ces terres,
et ces soi-disant donations ont toujours eu comme unique objectif de mettre
un terme aux querelles territoriales entre indigènes, entreprises propriétaires,
et Etat chilien. Le gouvernement de Chubut se sent donc incompris : selon Mauro
Millán, un dirigeant de la communauté Mapuche-Tehuelche, “La
loi est pour les ‘huincas’ (Argentins), pour nous, il n’y
a toujours pas de démocratie”. L’entreprise italienne a en effet
presque toujours remporté les procès et les familles Mapuches
se retrouvent constamment dépossédées de leurs terres,
sauf quand elles ont assez d’argent pour se payer un bon avocat.
Si les décisions sont favorables à Benetton, c’est parce qu’elles
sont basées sur un registre de la terre de 1896, mis en place suite à une
campagne militaire connue sous le non de « conquête du désert », à laquelle
les Mapuches résistèrent : pendant cette campagne, des milliers
d’indigènes furent ainsi tués par l’armée
argentine, puis dépouillés d’une terre ensuite redistribuée à des
particuliers pour leur usage personnel. Au milieu de cette conquête,
le gouvernement utilisa les mêmes 970 000 hectares de terres que Benetton
contrôle depuis 1991, et les transféra à la
fameuse Southern Argentinian Land Company (une entreprise anglaise). Le peuple
Mapuche demande donc depuis longtemps une enquête sur le transfert plus
que douteux des terres par le corps législatif. Poussé à vivre
sur les pires terres d’Argentine, il n’a aujourd’hui aucun
droit face aux descendants d’Allemands, d’Italiens ou de Suisses,
et le goudron empiète de plus en plus sur ses territoires.
Depuis novembre 2005, Benetton ne renonce pas à donner ces terres situées
dans la région de Piedra Parada (Sud de l’Argentine). Mais sur
les hectares « offerts » aux peuples indiens, la grande majorité (plus
de 95 %) n’est ni cultivable, ni propice à l’élevage,
car il s’agit de flancs de montagnes, de ravins, ou encore d’affleurements
rocheux, soit des conditions climatiques très défavorables. Le
projet de mise en valeur de ces terres paraît donc bien difficile à réaliser.
Pourvu que Benetton, la marque aux photos si provocantes, ne pousse pas le
cynisme jusqu’à aller photographier de pauvres Indiens décharnés
réclamant juste le droit de cultiver la terre décente qui leur
est due.
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