Mapuche-hommes de la terre
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4 Janvier 2004
Entretien avec Victor ANCALAF
traduction: Association la Licorne, France.
Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Victor Ancalaf

“Les Mapuches vivent toujours en dictature”

Victor le 2 janvier dernier le Ministre Simpertigue t’a notifié une condamnation en première instance de 10 ans de prison pour ton soutien à la résistance mapuche, que penses tu de cette décision ?

Selon la justice huinka (blanche) justice a été rendue. C’est du moins ce que doivent penser le gouvernement et les dirigeants d’ENDESA Espagne, deux des groupes qui ont comploté pour construire le barrage du Bio Bio et aussi pour m’incarcérer sans aucune preuve. Pour ma part je suis tranquille, pour la justice mapuche, qui est aujourd’hui celle que je veux reconnaître, je suis innocent. J’ai la conscience absolument tranquille. Pour la justice mapuche qui est la justice des miens, de mon peuple, je ne suis coupable de rien, tout au contraire, je suis une personne qui humblement a accomplit son devoir de soutenir ses frères en difficulté. Ne pas le faire s’aurait été aller à l’encontre mes devoirs de mapuche. C’est ce qui m’intéresse de retenir, plus que ce que disent ou ne disent pas les tribunaux chiliens sur ma personne et qui ne retient pas mon attention.

Pour les tribunaux de justice tu es un terroriste …..

Oui un terroriste. Aujourd’hui tous les Mapuches sont des terroristes à moins que nous démontrions le contraire. C’est la nouvelle justice. Ils nous accusent de terrorisme tous les jours. Nos lonkos (chefs de communautés), nos jeunes, nos soeurs comme Patricia ou Mireya, il ne manque plus qu’ils accusent de terrorisme les machis (chaman mapuche) ……… C’est dur ce qui se passe, tous les jours l’espace politique de solution de ce conflit se resserre au bénéfice d’une criminalisation de nos demandes. Par ce chemin nous n’allons nulle part, seulement à des affrontements et à remplir les prisons. Ce gouvernement supposé démocratique pousse les choses trop loin. Je crois que les positions vont se durcir. S’il n’y a pas de solutions politiques, si l’on ne discute pas du thème de nos droits politiques et territoriaux avec un peu de recul, cela peut déboucher sur n’importe https://www.mapuches.org/files/doc/quoi et la responsabilité principale en incombera au gouvernement et à ses fonctionnaires et pas à nous, les Mapuches.

Quelles leçons crois tu que puisse tirer le mouvement mapuche de la déroute de la lutte contre RALCO ?

Je crois qu’il y a plusieurs leçons. Une d’entre elles est la responsabilité des dirigeants et des organisations qui un jour déclarent à la presse “qu’ils donneraient leurs vies pour défendre le territoire pehuenche”, et qui ne sont jamais présents quand on a besoin d’eux sur la zone. C’est irresponsable .Et en plus c’est créer des perspectives fausses en une lutte que nous savons difficile. Quand la négociation finale s’est réalisées entre les femmes Mapuches et le gouvernement, certains ont réagit avec surprise, voire même indignation, mais cette réaction reflète seulement une méconnaissance de ces personnes compte tenu de la situation dans la zone .Je me demande ce qu’ils espéraient qu’il allait arriver. L’autre leçon concerne le fait d’assumer ses responsabilité et de ne pas pleurer une fois que la cruche est brisée. Ici tout le mouvement a péché par paresse et manque de vision politique. Jamais il n’a donné à Ralko l’importance que cela devait avoir comme symbole de résistance, y compris au niveau international. Ralko est un conflit qui aurait pu changer pour toujours les relations entre l’état et les Mapuches, mais l’opportunité historique n’a pas été saisie et aujourd’hui de nouveau l’état nous est passé dessus. C’est les leçons que nous devons retenir.

Victor, beaucoup de gens valorisent les initiatives du gouvernement comme le document sur le nouveau traité, où, il est fait une sorte de mea culpa historique de la relation Etat et peuples originaires, que penses tu de ce document ? Tu as pu le lire ?

Non, personnellement je n’ai pas pu le lire complètement, seulement des éléments parus dans la presse. Vois tu je crois que ce sont des initiatives trés symboliques et que si des gens les valorisent, et bien tant mieux pour elles. Je voudrais rappeler un peu comment est née cette commission du gouvernement à laquelle j’avais été invité à participer. C’était en 2002 quand le conflit était au plus fort et que nous étions avec Mideplan qui réalisait la remise aux communautés de nombreux terrains en conflit à Collipulli, des gens du gouvernement sont venus chez moi pour m’inviter à rentrer dans cette commission. Je leur ai dit non tout de suite et pour une raison très simple. Je ne crois pas que le rôle des dirigeants politiques est de réaliser des documents. C’est un travail académique et de plus, il y en assez des documents et des diagnostics, ça je leur ai dit. Plus tard ils ont insisté et en sont même arrivés à m’offrir une voix mapuche au sommet contre le racisme et la discrimination raciale qui allait se réaliser en Afrique du sud. Je n’ai pas non plus accepté cette invitation. C’est dans ce contexte qu’est née cette commission, dans le contexte des mobilisations et de la nécessité du gouvernement de calmer un peu le jeu, en sortant de leurs rôles véritables des dirigeants politiques qui doivent accompagner les luttes de leurs communautés. Pour elles, nous n’avons pas accepté et je crois que c’était le mieux à faire, parce que je crois que les recommandations de la commission n’ont pas de futur dans les faits.

Dans leurs recommandations ils parlent de la remise de territoires usurpés aux communauté, y compris en fixant des échéances, on parle de trois ans maximum….

Si nous regardons le passé de ce pays et sa législation nous pouvons voir les difficultés que représentent la résolution de ce problème. Dans le document on parle, y compris d’expropriation et ça ne me parait pas fiable, quand on connaît les réelles conditions politiques de ce pays. Le gouvernement sait que ce sont des déclarations pour la frime, c’est à dire des déclarations qui permettent de convaincre certaines communautés, de renforcer la Conadi, présenter un visage un peu plus démocratique à un moment où la répression et la prison sont dominantes sur l’opinion publique de notre peuple. Mais non seulement ça, ce sont de fausses espérances. Même s’ils étaient convaincus de rendre ces terres, ni le parlement ni la droite ne le permettraient. De plus et depuis toujours dans l’histoire, à chaque fois que le gouvernement a signé un accord avec les Mapuches, les autorités se sont empressées de les violer. Ça a toujours été comme ça. D’un autre côté ce qui existe ici au Chili et depuis fort longtemps est une dictature masquée de démocratie. Les Mapuches, comme peuple, vivent toujours sous une dictature. Je ne parle pas d’une dictature militaire, mais d’une dictature économique, où ceux qui réellement dirigent le pays sont les groupes économiques et non les politiques.
Dans la pratique se sont les pouvoirs économiques qui posent les cartes sur la table face au gouvernement et aux autorités, de droite ou de la concertation, tout ce qui leur reste à faire c’est d’hocher la tête. Je leur ai dit les chefs d’entreprises ne font pas grand chose, à propos de l’histoire de Spiniak, que pour eux un gouvernement de droite ou de la concertation revient au même et qu’ils seraient enchantés de voter pour Eduardo Frei. C’est un signal puissant, ils disent au fond que ce sont eux qui décident au Chili et qu’ils seraient disposés à laisser tomber Lavin si celui-ci ne leur garantissait une “gouvernabilité”, c’est à dire, la paix pour leurs investissements. Dans ce contexte les recommandations du Nouveau traité n’iront pas plus loin que le symbolique, peut être quelques initiatives se concrétiseront-elles, surtout si elles sont folkloriques, mais je ne vois pas la possibilité que quelques mesures politiques puissent prospérer en raison de ces pouvoirs factices trés négatifs.

Concernant l’année 2003, on a eu la perception d’une année judiciaire exceptionnelle. Condamnations de dirigeants, emprisonnements, persécutions, etc. ? Comment qualifies tu ce qui s’est passé cette année ?

Bon, comme l’année de criminalisation du mouvement mapuche. Cette année plus que toute autre, le gouvernement a fait de la répression son enjeux, et mettant sur le terrain de la justice la demande politique de notre peuple. C’est quelque chose que nous savons mieux que quiconque, nous les prisonniers politiques. La majorité d’entre nous est incarcérée sans preuve, les autres frères qui sont à Angol ou Temuco sont aussi enfermés sans preuve sur décision des autorités et des tribunaux racistes qui agissent dans la zone sud. On parle de faire respecter l’état de droit, mais l’état n’a jamais respecté les accords qu’il a signé avec notre peuple? Alors quel état de droit défendent-ils ? C’est ce que je me demande et je l’ai dit plusieurs fois au juge d’instruction qui m’a condamné. Quel état de droit défendez-vous ? Il s’est tu, et m’a regardé, pensif. Je ne sais ce qu’il pensait, il ne me l’a jamais dit.
Mais au delà de cette criminalisation et de la grande quantité de gens soumis à procès ou incarcérés, ce qui est intéressant c’est comment en tant que peuple nous sommes capables de résister, nous sommes capables de trouver des formes politiques qui nous permettent comme peuple, et non pas comme secteur de communautés ou organisations, d’affronter cette offensive de l’état et de retourner ce scénario politique en notre faveur. Nous allons vers des moments meilleurs à court et long terme. Le sommet de l’Apec trés prochainement et le bicentenaire de l’état chilien aussi. Ce sont des espaces que nous devons utiliser pour dénoncer ce qui se passe, pour nous mobiliser. A l’interne nous devons laisser de côté le sectarisme qui ne conduit à rien et travailler politiquement pour nous unir en un front commun. Au delà d’avoir différentes formes de luttes, différentes façons d’affronter l’état, nous devons coordonner certaines choses, mettre sur la table nos objectifs stratégiques et avancer ensemble.

Et tu penses que le mouvement mapuche est prêt pour passer ce cap ? Je te le demande en raison de l’éclatement qui s’observe, avec chaque organisation qui travaille pour son compte, sans beaucoup de coordination.

Je crois qu’il est possible d’arriver à des instances de coordination. Les gens y sont, les secteurs organisés aussi, la force y est et la conscience chaque jour plus forte. Je crois que les dirigeants politiques de notre peuple doivent être à la hauteur des défis qui viennent, ne pas continuer à commettre les mêmes erreurs années après années. Une de ces erreurs dans les dernières années a été de tomber dans des attitudes de chefs et de tenter d’imposer à chaque organisation sa ligne politique. C’est ce genre de vice que nous devons extirper. Notre peuple est divers, il y a beaucoup de visions qui existent sur ce que nous sommes et ce que nous devons être dans le futur comme peuple, mais c’est légitime qu’il en soit ainsi. Nous devons entendre que nous luttons pour la liberté d’un peuple, pas d’un secteur social, ou d’un secteur territorial, nos parlons d’un peuple, d’une nation, et dans ce domaine il y a certaines choses que nous devons transcender pour avancer. Comme les palestiniens, la catalans maintenant, nous devons être capables de nous mettre d’accord sur une idée commune, une idée de liberté à long terme pour notre peuple.
Si cette idée de peuple est travaillée à partir de la culture, bon, si elle est travaillée à partir des arts, trés bien, si quelqu’un veut apporter d’un point de vue académique, qu’il le fasse. Nous nous devons assumer la part politique, nous mettre d’accord et accepter que non seulement “mon” organisation ait le droit de le faire mais aussi toutes celles qui travaillent dignement en tant que Mapuche, les communautés, les étudiants, les professionnels. Nous ne pouvons pas nous prendre pour les détenteurs de la vérité, croire que nous sommes “les plus Mapuches” d’entre les Mapuches, c’est une erreur qui a été commise et qui a fait grand tort au mouvement dans sa totalité, engendrant la méfiance et a rivalité entre nous. Je crois que nous devons en finir une fois pour toutes avec ça.

* Cet entretien est un extrait d’un reportage sur la situation de Victor Ancalaf publié dans la troisième édition du périodique Mapuche Azkintuwe, Janvier 2004.
Manuel Lincoñir.

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